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Le coin du clinicien

Jean FURTOS

Année de publication : 2002

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, PUBLIC PRECAIRE, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°9 – La psychiatrie publique en question – 2ème volet : Un héritage à réinventer (Septembre 2002)

1) Réalité et psychodynamique

Les intervenants de la clinique psychosociale, travailleurs sociaux ou soignants, sont confrontés d’une manière non exceptionnelle à un certain nombre de comportements d’abord incompréhensibles : parfois, plus ils travaillent avec certaines personnes dans le cadre de leur métier, plus ces personnes cassent le projet ou « se cassent » elles-mêmes, c’est à dire se font du mal ou fuient, sans que l’on puisse parler d’erreur technique ; il s’agit plutôt d’une méconnaissance.

Cette clinique est en effet à comprendre dans le cadre du syndrome d’auto-exclusion. Il y a des niveaux de souffrance intolérable qui visent à abolir la souffrance par désubjectivation violente.

La solution consiste, littéralement, à sortir de soi-même, comme un retournement en doigt de gant ; s’exclure de soi pour ne plus souffrir, sortir du désespoir, de l’agonie, de l’effondrement, de la révolte impossible. De ce fait, le sujet ne se sent plus ni dans son corps ni dans sa subjectivité. Il perd ainsi le sentiment de la continuité de son existence, et entre dans un cycle de destructivité, avec des défenses paradoxales très coûteuses qui accélèrent la spirale de l’exclusion.

Ces processus, portés par des mécanismes serrés de « clivage au moi » (au-delà du clivage du moi), s’accompagnent de signes de la lignée du déni et d’une incapacité au deuil, avec un affaiblissement majeur des capacités « du moi ». L’auto-exclusion, mécanisme psychique de désubjectivation, est intimement corrélé à l’exclusion sociale qui la précède logiquement en tant que défaillance de l’environnement.

2) Sémiologie : sept signes

Le rapprochement subjectif, au sein d’une relation d’aide, entraîne des effets inverses à ceux qui étaient attendus ; aider un usager ou un patient l’aggrave, c’est le signe cardinal.

Le corps est anesthésié ou hypoesthésié sur le plan cutané mais aussi cénesthésique. Cela entraîne une diminution voire une abolition de la perception des douleurs somatiques en cas de lésions et de maladies. Ce signe est directement associé à l’émoussement émotionnel, avec des signes de repli et d’inhibition affectivo-cognitive.

Sur ce fond d’émoussement, on observe des comportements paroxystiques : le retour brutal du clivé (retour de la souffrance), parfois à l’occasion de rapprochements affectifs, entraîne des comportements plus ou moins violents visant à la rupture du lien. L’alcoolisation en est souvent l’occasion.

On note une tendance générale à l’incurie, à l’absence du souci de soi-même. La demande d’aide est abolie et l’aide proposée souvent récusée.

Certains objets concrets, tenant lieu de ce qui est perdable et perdu, sont hyper-investis.

Il y a (presque) toujours une rupture activement entretenue des liens transgénérationnels.

La plupart des signes vont contre l’accès au soin (signes 1, 2, 4, 6) tandis que le retour paroxystique du clivé conduit souvent à l’urgence, ouvrant paradoxalement une occasion de soin.

3) Commentaires

Ces personnes sont psychiquement dans un monde à l’envers, pour se protéger. Par exemple du côté de l’inversion de la demande1.

Le syndrome d’auto-exclusion est-il réversible ?

Il y a des situations réactives et facilement résolutives via une relation de respect. Il est aussi des syndromes avec clivage serré, surtout lorsqu’ils s’accompagnent d’une anesthésie effective du corps et de la sensibilité. Dans ces situations, on doit certes garder l’idée d’une réappropriation de sa subjectivité par le sujet, mais sans jamais la forcer. Cela peut durer des mois, des années, à travers les échecs multiples. Vouloir forcer les défenses, c’est empêcher que le sujet vive ainsi protégé, pouvant entraîner l’ultime complication : la mort.

Le syndrome d’auto-exclusion n’est pas spécifique, il constitue la défense ultime commune pour tout processus d’exclusion lorsqu’un être humain n’est plus reconnu comme digne d’exister dans une situation extrême : précarité sociale, maladie à valence excluante, situation d’inhumanité.

Nous n’éludons pas le rapport avec l’histoire personnelle du sujet, les traumatismes et les clivages précoces. Cependant, il faut savoir que dans les circonstances du syndrome d’auto-exclusion, l’anamnèse est difficile et même dangereuse ; elle révèle un black-out quasi complet sur le passé, avec une prévalence de l’actuel en situation d’exclusion. Lorsqu’on suit un adolescent qui entame un trajet calamiteux d’exclusion, il peut évoluer, mais heureusement pas nécessairement, vers un syndrome d’auto-exclusion.

Notes de bas de page

1 Cf. Rhizome n°2, Le coin du clinicien, p. 9 « Connaître l’impossibilité de la demande ».

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