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Le Paradigme fondateur du secteur : le désaliénisme, à contre-courant

Paul BRETECHER - psychiatre, psychanalyste.

Année de publication : 2002

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES HUMAINES, SCIENCES MEDICALES, Sciences politiques

Télécharger l'article en PDFRhizome n°9 – La psychiatrie publique en question – 2ème volet : Un héritage à réinventer (Septembre 2002)

Le terme de « désaliénisme » est dû à Lucien Bonnafé qui l’a forgé comme un mot valise pour désigner l’esprit et la méthode présidant, selon lui, à la mise en place d’une politique de psychiatrie de secteur. Par sa construction même, le mot « désaliénisme » associe l’idée de désaliénation et celle de rupture avec le système asilaire. Ce vocable qui émaille maints textes de Bonnafé n’a pas connu un grand succès comme si ce qu’il désigne était hors actualité.

Pour beaucoup aujourd’hui en effet, la problématique de la désaliénation est surannée. En psychiatrie, on ne parle plus d’aliénation mentale et la figure de l’aliéniste à la De Clérambault appartient au passé. Au plan socio-politique, le concept d’aliénation a pâti du désintérêt pour les recherches inspirées du marxisme. Désormais, quand les psy croisent des sociologues leurs débats empruntent un autre vocabulaire. Ils parlent d’exclusion, de discrimination, de désaffiliation. Quant au système psychiatrique, les critiques portent surtout sur ses insuffisances : manque de moyens, d’ouverture à la cité, faiblesse des dispositifs de réinsertion…

Mais ces approches résolument modernes considèrent souvent comme réglé ce qui, pour Bonnafé, ne relevait pas de l’évidence. Ainsi, la loi de 1990, régissant les internements, a remplacé la loi de 1838 sans en modifier les fondements. Elle est admise comme un outil dans l’arsenal d’intervention dont disposent les politiques, les familles et les soignants. Mais curieusement, dans un contexte où domine l’idéologie de la sécurité, on ne s’interroge plus sur ses effets paradoxaux.

Une telle observation a t-elle encore une quelconque actualité ? A chacun d’en juger. Mais si on le pense, on peut dès lors admettre qu’il n’est pas sans intérêt, au-delà de l’apparence de changement, de comprendre ce que désignait Bonnafé quand il formulait ses propositions « désaliénistes ».

Pour le dire simplement, alors qu’il s’agit d’une réflexion foisonnante1, on peut avancer qu’elle s’efforce de revenir au plus élémentaire, tout en considérant les phénomènes liés à la folie dans leur complexité. Le plus élémentaire, c’est le principe Hippocratique auquel tout soignant est attaché mais qui dans le feu de l’action est si difficile à mettre en oeuvre : « commencer par ne pas nuire ». Or sur ce plan, l’histoire nous a appris qu’avec peut-être les meilleures intentions, le « système asilaire » a largement échoué. Et dans cette expression, le mot « système » a toute son importance. En l’occurrence, cela signifie qu’aucune approche réductionniste et parcellaire, centrée uniquement sur la clinique, l’institution, le social, l’économique, le juridique, ou le politique ne rend compte de l’effectivité des pratiques. Il faut plutôt dégager les invariants à l’oeuvre sur chacun de ces plans dont les effets cumulés conduisent à l’invalidation de l’initiative soignante.

Schématiquement, si l’on considère le « système asilaire », on peut le caractériser par :

1. Au plan anthropologique, la prévalence du refus de l’altérité.

Cette « conduite primitive » particulièrement nette à l’égard de la folie, a partie liée avec les peurs les plus irraisonnées toujours prêtes à resurgir dans une société en mal de cohésion. A l’inverse, l’accueil est un exercice ou un art qui passe par un travail à contre-courant de ces réflexes immédiats (c’est la fonction de la culture mais aussi au plus intime de soi d’un travail pour accueillir l’étranger qui habite le « je »).

2. Au plan épistémologique, le primat de l’objectivation et de ses avatars technocratiques sur toute recherche concernant les préalables à l’échange inter subjectif. L’objectivation n’est qu’une représentation particulière de la réalité, répondant à un souci de classification ou à l’établissement de mesures quantifiables. Elle fixe les positions de l’observateur et de l’observé, le second devenant sous le regard du premier l’objet d’une expertise qui, du certificat au plan comptable, laisse dans l’ombre ce qui se passe entre ces deux sujets. Là aussi, le recours à l’histoire est instructif. Que l’on songe par exemple, à ce que la postérité a retenu du dispositif clinique de Charcot à La Salpétrière, modèle de l’observation objectivante. Dans ce cas, l’ignorance des influences réciproques entre médecin et malade – inhérentes à toute relation thérapeutique – conduit à prendre l’artefact pour la réalité. C’est une parfaite illustration d’aliénation mutuelle, quand la personne s’efface devant le personnage.

3. Au plan institutionnel, la prééminence accordée au lieu, en l’occurrence l’hôpital qui reste le centre organisateur des pratiques de soin. Sur ce point, les critiques de Bonnafé n’ont pas toujours été comprises. On a interprété ses propos comme une condamnation a priori de l’hospitalisation. Ce n’était pas son intention. Sa critique vise l’hégémonie d’un modèle « bloquant la recherche de la meilleure diversification du travail de soins ». L’asile était une institution totale conçue comme un dépôt pour une catégorie d’exclus. Aujourd’hui, le modèle hospitalier impose une autre forme d’emprise sur les pratiques : emprise d’un mode de gestion, d’un type de formation des personnels, d’organisation hiérarchisée et morcelée des tâches, d’une idéologie du soin, centrée surtout sur la « réparation ». Et il y a déjà plus de quinze ans, Bonnafé s’inquiétait de la standardisation des réponses apportées aux situations de grande détresse psychique, assimilées de plus en plus aux urgences médicales, en même temps qu’il notait la tendance des structures « extrahospitalières » à se refermer sur elles-mêmes. Dans le premier cas, il y voyait un signe de stérilisation des recherches cliniques et institutionnelles. Quant à la clôture des institutions sur elles-mêmes, il craignait qu’elles ne succombent à cette « pathologie des isolats » qui guette toutes les institutions auto centrées : installation dans la routine, décalage entre les offres et les demandes de soin, inadaptation à l’environnement, perte des capacités créatrices, reconduction des vieilles séparations entre espaces dévolus aux « chroniques » et zones de transit des « aigus ».

Dès lors, le désaliénisme se projette « par contraste », sur fond de ces trois critiques anthropologique, épistémologique et institutionnelle, en inversant chacune des oppositions citées :

– primat de l’accueil sur le rejet,

– mise en place des conditions favorables à l’émergence de la fonction sujet,

– institutionalisation de dispositifs en rupture avec l’hospitalo-centrisme…

Ces perspectives de travail sont-elles encore d’actualité ? Quoiqu’il en soit, remonter le courant est toujours un signe de vitalité.

Notes de bas de page

1 On sait que toute la pensée de Bonnafé traverse la poésie, la littérature, le marxisme, la philosophie des sciences – Bachelard, Canguilhem -.

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