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« À la rue avec les chiens, c’est rock’n’roll »

Ben - Hébergé au centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) Carteret, Lyon

Année de publication : 2019

Type de ressources : Rhizome - Thématique : PUBLIC PRECAIRE

Télécharger l'article en PDFRhizome n°72 – Les animaux pansent (juillet 2019)

Rhizome : Quels rapports avez-vous avec vos chiens ? Comment décririez-vous votre parcours de rue avec eux ?

Ben : J’ai deux chiens, Zyko et Zyra. Ils étaient petits quand je les ai eus et j’étais à la rue. Enfant, j’ai toujours grandi avec des chiens. J’ai passé quelques années sans en avoir, puis j’en ai finalement adopté un premier, puis un deuxième. Le premier avait été abandonné. J’avais offert le deuxième à une personne qui me l’a par la suite rendu et finalement je l’ai gardé. Ils sont âgés aujourd’hui, ils ont respectivement 11 et 9 ans.

À la rue avec les chiens, c’est rock’n’roll. De manière générale, on remarque que les passants ont peur quand ils croisent une personne sans domicile avec des chiens. Lorsqu’on est sans domicile et qu’on adopte un chien, on a une responsabilité. Une relation forte se construit avec les chiens. Elle est aussi différente de la relation qui se crée entre une personne qui travaille et son chien, par exemple. Lorsqu’on a un chien, on ne peut plus faire les mêmes choses comme quand on était tout seul, même dans des situations simples du quotidien. Par exemple, pour manger quelque part, on doit obligatoirement manger en terrasse, puisque les chiens sont interdits à l’intérieur. Si on a besoin d’aller au supermarché, on est aussi obligé de les laisser attachés à l’extérieur. Comme on ne peut pas les laisser seuls, on ne peut pas assister à une séance de cinéma pendant quelques heures, par exemple.

Pour moi, le fait d’avoir des chiens, c’est comme si j’avais des enfants. Aujourd’hui, je ne serais sûrement pas hébergé ici s’ils n’étaient pas là. J’ai cherché une solution d’hébergement en grande partie pour eux, parce qu’ils vieillissent. Je vois bien que leur comportement a changé avec l’âge, c’est normal. Je dois commencer à mieux m’en occuper, à ne plus les laisser traîner dehors, notamment en hiver, quand les températures baissent.

Rhizome : Quel est votre parcours d’hébergement avec vos chiens ? Comment se passe le quotidien en étant hébergé avec vos animaux ?

Ben : À Lyon, deux foyers acceptent les chiens, j’ai connu les deux. Je suis hébergé au centre d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) Carteret depuis six mois. Avant, j’ai vécu pendant quatre ans et demi dans l’autre foyer. Suite à un contentieux avec eux, je suis retourné à la rue et j’ai rempli un dossier pour être hébergé dans ce CHRS. J’ai attendu plus de huit mois avant de recevoir une réponse positive. Ici, nous sommes quatre personnes hébergées à avoir des chiens. Comparé à l’autre, ce foyer est plus adapté aux chiens : il est organisé en bungalows améliorés, comme des maisonnettes, donc les chiens ont plus de place. Comme j’ai deux chiens, j’ai une chambre pour couples. Les chiens sont essentiellement à l’intérieur, je les sors en journée, quand je veux. Je n’ai pas le droit de les laisser à l’extérieur, notamment parce que les autres résidents peuvent en avoir peur. Normalement, je ne les attache pas, mais à l’intérieur du foyer, je suis obligé et dès que je m’approche d’une personne qui a un autre chien, je m’écarte comme ça il n’y a pas de problème.

Dans le premier foyer, où j’ai vécu avant de venir ici, nous étions dix personnes hébergées avec des chiens. C’était plus compliqué à gérer. À mon sens, la construction n’a pas été pensée pour accueillir des personnes avec des animaux. Le bâtiment est sur deux étages et les chambres sont petites, situées côte à côte, donc dès qu’on sort de la chambre, on est tout de suite en contact avec les voisins. Cette proximité peut créer des tensions, à cause des chiens ou si on n’est pas bien. Aussi, l’été, les températures dans les chambres sont vite insoutenables, surtout pour les animaux, donc je restais beaucoup à l’extérieur.

Je dirais que, comme les humains, les chiens s’adaptent aux situations qu’ils rencontrent. Si on passe d’un hébergement à la rue, ils risquent de ne pas être contents les trois premiers jours parce qu’ils ont perdu leur confort, mais finalement, ils s’adaptent rapidement à vivre en permanence dehors.

Rhizome : Selon vous, est-ce que le fait d’avoir des chiens peut aider à créer du lien avec les personnes, ou, à l’inverse, est-ce que cela peut être problématique ?

Ben : Selon moi, le fait d’avoir des chiens ne crée pas forcément de relations avec les autres personnes. En arrivant ici, les travailleurs sociaux avaient surtout peur que les chiens endommagent la chambre, ce qui n’est jamais arrivé. S’ils avaient causé des dégâts, je ne serais sûrement plus hébergé ici d’ailleurs. Mes chiens sont éduqués, ils ne cherchent pas de conflits. S’ils n’étaient pas éduqués ou s’ils avaient tendance à attaquer, j’aurais des problèmes et, surtout, je ne les aurais jamais gardés autant d’années avec moi. Mes chiens ne sont pas problématiques, ce sont plutôt les personnes qui, en voyant deux chiens détachés, peuvent chercher des conflits.

Rhizome : Selon vous, est-ce que la rue peut pousser les personnes sans-domicile à adopter des chiens ? Quand vous viviez dans la rue, est-ce que vous avez déjà eu le sentiment de devoir protéger vos chiens ou qu’ils vous protégeaient ?

Ben : Les raisons qui poussent les personnes sans domicile à adopter un ou des chiens dépendent beaucoup des personnes. Certaines prennent des chiens pour se défendre, d’autres, pour avoir une compagnie ; d’autres encore n’aiment pas les humains, donc elles préfèrent les chiens…

Dans la rue, on se protège mutuellement, d’une certaine manière. Une fois, mon chien a reçu un coup de couteau dans la carotide pendant que je n’étais pas là, c’était un ami à moi qui le gardait. Il est resté une semaine chez le vétérinaire, ça m’a coûté très cher. Il y a beaucoup d’anecdotes sur des chiens qui ont été blessés, qui ont mordu ou qui sont morts dans la rue, majoritairement à cause des humains.

À l’opposé, mes chiens m’ont réveillé plusieurs fois en pleine nuit, ils se mettaient à grogner notamment quand une personne alcoolisée s’approchait. Ils n’aiment pas les personnes trop ivres, même si moi-même je bois. Les chiens qui dorment dans la rue ne dorment pas vraiment, ils sont en alerte, en état de vigilance et ils montent la garde. Ils ont plutôt tendance à dormir le jour.

Rhizome : En étant hébergés ici, est-ce que vos chiens ont accès à des soins vétérinaires ? Comment faites-vous pour les nourrir ? Avant d’être hébergé, comment faisiez-vous pour la nourriture et le soin de vos chiens ?

Ben : Lorsque l’on décide d’adopter un chien, on est responsable de lui, donc il faut assumer. Même si c’est parfois difficile, je me charge d’acheter des croquettes. Il arrive aussi que le CHRS en distribue. Concernant les soins vétérinaires, le CHRS a un partenariat avec un vétérinaire chez lequel nous pouvons amener les chiens. Avant, je me rendais dans une autre association, qui fait aussi de la réduction des risques et qui accepte les chiens. C’est un lieu pratique et ça me permettait également d’amener les chiens chez le vétérinaire.

Rhizome : Au regard de votre expérience et de votre parcours, que diriez-vous des propositions d’hébergement destinées aux personnes sans domicile ?

Ben : En étant sans domicile avec des chiens, les possibilités d’hébergement sont très limitées. D’une part et de manière générale, je pense qu’il n’existe pas assez de structures qui proposent des hébergements aux personnes sans domicile, avec ou sans chiens, au regard du nombre important de personnes qui vivent dans la rue. D’autre part, les personnes sans domicile, notamment celles qui consomment beaucoup – alcool, drogues – sont peu informées de la possibilité d’être hébergées dans des structures à haut seuil de tolérance. Par conséquent, en craignant de ne pas pouvoir consommer, elles ne cherchent pas à être hébergées. Certaines personnes comparent les centres d’hébergement à des prisons, elles ont comme un blocage face à cette proposition. D’autres ne connaissent pas les procédures, elles ne savent pas qu’elles doivent remplir des dossiers. Du côté des associations, on peut donc penser que la communication autour de l’hébergement peut être renforcée auprès des personnes sans domicile qu’elles accompagnent.

Un autre problème se pose pour l’hébergement des femmes sans domicile seules avec des chiens, puisqu’à ce jour, aucune structure n’accueille ce public à Lyon. En effet, les structures qui acceptent les personnes avec des chiens ne sont destinées qu’aux couples ou aux hommes seuls. Pourtant, on trouve des femmes seules avec des chiens et elles n’ont aucune possibilité d’hébergement. Elles sont donc contraintes de trouver des squats, d’être hébergées par n’importe qui et, parfois, d’être confrontées à des situations difficiles. Penser l’ouverture de structures qui permettent l’accueil des femmes sans domicile seules avec chiens me semble nécessaire.

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