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L’idée de rétablissement-recovery: dimensions, ambiguïtés, enjeux

Lise DEMAILLY - Professeure émérite de sociologie, CLERSE-CNRS, Université de Lille, Lille

Année de publication : 2017

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SCIENCES HUMAINES, Sociologie

Télécharger l'article en PDFRhizome n°65-66 – Apprendre le rétablissement (Décembre 2017)

La notion de rétablissement (recovery) comme processus d’amélioration de la santé et de la vie des usagers de la psychiatrie et comme nouvelle philosophie du soin et de l’accompagnement a émergé avec un certain succès dans les débats sur la politique de santé mentale en France. Elle est porteuse de dispositifs innovants.

Première approche du sens du terme

En première approche, le sens du terme « rétablissement », comme amélioration de la santé  et en tant qu’il est marqué par l’anglais « recovery », se comprend à la fois en opposition au mot « guérison » et en lien avec l’idée de chronicité. C’est un « aller mieux» dans le cadre d’un trouble psychique que l’on ne peut par ailleurs pas guérir.

Trois précisions peuvent être apportées quant à l’usage du terme.

1) Le processus de recovery concerne une maladie. Il faut que le trouble soit de l’ordre de la maladie. Par exemple, dans le débat public sur l’autisme, le mot rétablissement n’est jamais employé. En effet ce trouble est, de façon dominante, déclaré « handicap » « incurable », et non pas « maladie ». Pour désigner un aller mieux, on emploiera des termes comme « compensation du handicap » et « amélioration des capacités ». Le rétablissement, lui, implique comme condition la maladie, même si celle-ci s’accompagne d’un handicap (psychique).

2) Le recovery n’est pas une guérison. Au sens français habituel du terme, on peut se casser un fémur et « se rétablir ». C’est alors une guérison. Mais ce n’est pas le sens de rétablissement-recovery tel qu’il nous est venu d’outre-Atlantique. Recovery implique que la guérison ne peut être espérée et qu’il va falloir, pour le patient, faire avec la maladie, l’accepter, l’apprivoiser, la gérer, avec des médicaments pris de manière permanente, avec des exercices et des apprentissages, avec des aides sur le plan de la réhabilitation sociale ou de la réinsertion.

3) Se rétablir, c’est se rétablir dans la ville. Il ne s’agit pas d’un aller mieux qui puisse se produire ou se mesurer en intrahospitalier. Le rétablissement implique que le soin ou l’accompagnement soit ambulatoire, voire se situe dans un cadre plus éclaté que les murs de l’ambulatoire classique (CMP, CATTP). Il implique l’idée d’un accompagnement mobile, dans la ville. L’idée de rétablissement implique que l’usager vive comme un citoyen ordinaire. C’est dans la vie ordinaire que le rétablissement se mesure et se vit.

Ambiguïtés

Le terme d’« aller mieux » est plus descriptif que normatif. Il est aussi plus ouvert que  « rétablissement », il n’exclut pas que, au-delà d’un rétablissement-recovery, une guérison puisse advenir ultérieurement2. Il n’exclut pas non plus la diversité des voies de rétablissement : actions de l’institution psychiatrique et intervention sociale, mais aussi : événements de vie (bonnes rencontres, accès à l’emploi, rôle de l’entourage amical ou familial), auto-support et support des pairs.

Le terme de « rétablissement », comme paradigme politique de transformation des pratiques en santé mentale, est ambigu quant aux relations de pouvoir qu’il condense et euphémise.

Qui va décider, qui va évaluer que le patient est rétabli, en voie de rétablissement, ou pas du tout rétabli ? Le patient lui-même? Son entourage ? L’institution médicale et les travailleurs sociaux ?

Qui va décider que la maladie qui affecte le patient n’est pas guérissable et qu’il ne vaut pas la peine de tenter la guérison, mais seulement une bonne gestion de la maladie ? Le patient ? L’institution médicale ? La politique de santé mentale ?

Qui va décider du contenu et de la durée de l’aide institutionnelle au rétablissement, des méthodes et des formes des prestations d’accompagnement utiles ? Le patient lui-même ? Ses pairs ? Les institutions psychiatriques et sociales ? Les politiques?

Quoi qu’il en soit, « rétablissement » désigne aujourd’hui une visée de transformation de l’institution psychiatrique, qui a inspiré des innovations récentes comme les médiateurs de santé pairs3 ou le programme Un chez soi d’abord, et il fait le lien avec des innovations plus anciennes, comme les groupes d’auto-support, le courant de la réhabilitation sociale. Le « rétablissement » comme paradigme approfondit la mise en cause de la psychiatrie asilaire, oblige la psychiatrie à travailler avec le secteur social et convoque l’idée de démocratie sanitaire. C’est donc un levier de transformation intéressant, même s’il présente les ambiguïtés mentionnées ci-dessus.

Origines sociétales

Pour mieux cerner celles-ci, penchons-nous sur les origines sociétales du paradigme. Le terme de recovery nous vient de l’espace nord-américain. Il en porte les traces. On peut comprendre l’émergence de cette philosophie à partir de trois données contextuelles aux États-Unis et au Canada :

1) Des politiques de santé mentale avec une « désinstitutionnalisation » ancienne et forte, qui a laissé pendant quelques années les malades mentaux à la rue, et les enfants en difficulté à leurs familles. L’accompagnement, effectué souvent plus par des travailleurs sociaux que par des équipes psychiatriques, est apparu comme une solution pratique absolument nécessaire pour parer au désastre.

2) Des mouvements d’usagers puissants, revendiquant leur empowerment. C’est du Québec par exemple que nous vient ce slogan des usagers de la psychiatrie : « Rien sur nous sans nous. »

3) Une tradition cognitivo-comportementaliste forte, qui met au centre de l’aller mieux l’apprentissage de capacités spécifiques de gestion de la maladie. Cette interprétation du rétablissement dans le contexte nord-américain revient à minorer de fait, idéologiquement et pratiquement, d’autres approches de la maladie : la dimension de soin biomédical, la dimension de soin psychique au sens large (avec des composantes affectives, émotionnelles, corporelles ou psychodynamiques…), les dimensions sociologiques de la genèse du trouble mental (chômage, harcèlement au travail, inégalités socio-économiques)4.

La connexion entre l’idée de recovery et celle d’empowerment au Québec donne au paradigme du rétablissement une tonalité clairement revendicatrice et démocratique. Mais à l’inverse, la connexion au comportementalisme pourrait en faire un nouvel avatar du contrôle social des individualités déviantes. Le risque de la dérive est bien là lors du transfert de l’idée de rétablissement en France, où la démocratie sanitaire est moins développée5 : un simple infléchissement des politiques de santé mentale, qui donnerait moins de moyens et de missions soignantes à la psychiatrie, plus de place à un travail social réadaptatif et consacrerait le modèle de la normalité comportementale.

En France : le rétablissement et le pluralisme des valeurs dans le soin

En France, la médecine reste le premier offreur de soin pour aller mieux. C’est elle qui détient, et de plus en plus largement, le pouvoir de découper et de nommer le pathologique ou l’anomalie. C’est aussi elle qui se présente comme disposant de l’arsenal thérapeutique le plus scientifique. C’est une institution dominante de notre société.

Mais à partir des années 1960-70, une nouvelle économie morale a émergé, avec le mouvement de libéralisation des mœurs et le souci de bien-être individuel, la redécouverte du corps et la valorisation du ressenti personnel et de l’expérience vécue. Parallèlement, la recherche chez les usagers d’une horizontalisation de leurs relations avec l’institution médicale et l’administration de la santé s’est fortement déployée depuis l’action d’Act Up et elle s’inscrit dans une transformation globale du rapport à l’autorité institutionnelle qui concerne toutes les institutions6.

Un exemple dans le champ de la santé mentale : l’évaluation du programme des médiateurs de santé pairs permit de mettre en évidence chez  les patients de la psychiatrie leur profond désir de plus d’horizontalité et d’écoute dans la relation entre professionnels et patients. L’enquête permit d’observer le bon accueil qu’ils firent à la figure du pair-aidant doté d’un savoir expérientiel proche de leur propre vécu, les MSP embauchés dans les services de psychiatrie publique étant auparavant passés par la maladie, le statut de patient et un processus, achevé ou en cours, de « rétablissement7 ».

Un autre élément de contexte est que la politique de santé mentale en France connaît comme outre Atlantique le développement d’un certain pragmatisme, justifiant l’éclectisme des ressources utilisées, voire l’éclectisme des théories de référence (une enquête menée autour des chefs de service dans le Nord-Pas-de-Calais montrait que la majorité des services se positionnait comme ayant une offre de soin éclectique). Ce qui devient légitime dans le soin est ce qui contribue directement et rapidement au mieux-être. Dans le cadre de cet éclectisme, la France connaît un certain essor des techniques cognitives comportementales. Les dispositifs de rétablissement répondent en partie à ce modèle, mais tout en faisant appel par ailleurs à d’autres valeurs fortes dans la psychiatrie française : citoyenneté, respect de la singularité, respect de certains symptômes, écoute.

Les soignants français du mouvement du rétablissement se conforment à cette poussée pour la reconnaissance des besoins singuliers des malades en termes d’écoute, d’empathie, d’accompagnement non réductible à la prise en charge médicale. Et, en même temps, le changement favorisé est celui qui ne fait pas augmenter les budgets, car la question budgétaire reste centrale. Les approches fondées sur l’entraide et l’autosupport constituent donc une piste prometteuse, l’invention de réponses souples, rapides, aux différentes formes de troubles et de souffrance, tout en restant compatibles avec les transformations budgétaires et organisationnelles des politiques de santé et des politiques sociales contemporaines.

Conclusion

Les dispositifs étiquetés rétablissement-recovery doivent être appréciés sur les plans éthique et politique de manière relative, au regard des pratiques concrètes développées, autrement dit en fonction de ce qu’elles autorisent dans le sens de la citoyenneté démocratique ou de ce qu’elles bloquent par rapport au respect des singularités et de la citoyenneté.

La philosophie du rétablissement signifie globalement une avancée par rapport à la psychiatrie asilaire, aux cas de maltraitance des usagers et de leurs proches, aux politiques publiques sécuritaires, à l’hospitalo-centrisme et au psychiatro-centrisme, et à l’enfermement dans les chronicités sans espoir.

Mais elle constitue une régression si elle signifie l’arrêt de l’espoir de guérison, l’arrêt de la recherche obstinée de traitements biologiques, d’interventions psychiques efficaces ou de changements sociopolitiques. Et ce serait une stagnation si l’interprétation concrète de cette visée était normalisatrice, autrement dit si elle était un simple infléchissement cosmétique du pouvoir médical sur la souffrance ou une simple reformulation commode du contrôle social sur la non-conformité à la normalité.

Notes de bas de page

1 Au sens que nous avons donné à ce terme dans Demailly L. et Garnoussi, N. (Dir). 2016. Aller mieux. Approches sociologiques. PUS.

2 Rappelons avec Arnhild Lauveng (2014). Demain j’étais folle, voyage en schizophrénie. Édition Autrement), qu’un tiers des schizophrénies guérissent.

3 Demailly, L., Bélart, C., Déchamp Le Roux, C., Dembinski, O., Farnarier, C., Garnoussi, N. et Soulé, J. (2014). Le dispositif des médiateurs de santé pairs en santé mentale : une innovation controversée. Rapport final de la recherche évaluative qualitative sur le programme expérimental 2012-2014. Lille : Multig. CLERSE  Lille 1/CCOMS.

4 Et donc le rôle propre de la réinsertion socio-professionnelle dans la guérison.

5 Demailly, L. (2014). Variations de la « démocratie sanitaire » et politique publique de santé mentale en France. Sociologies. AISLF. http://sociologies.revues.org/4653

6 Sur la demande globale d’horizontalité, cf. Payet, J.P. et Purenne, A. (2015). Tous égaux? Les institutions à l’heure de la symétrie. L’Harmattan.

7 Cf. Demailly, L., Bélart, Cl., Déchamp Le Roux, C., Dembinski, O., Farnarier, C., Garnoussi, N. et Soulé J. (2014). Le dispositif des médiateurs de santé pairs en santé mentale : une innovation controversée, Rapport final de la recherche évaluative qualitative sur le programme expérimental 2012-2014. Lille : Multig. CLERSE  Lille 1/CCOMS.

Demailly, L. et Garnoussi, N. (2015). « Les rencontres entre médiateurs de santé pairs et usagers de la psychiatrie en France. » Partie 1 : caractéristiques générales et effets du dispositif sur les représentations des usagers ». Santé mentale au Québec (XL, no 1). Montréal, Canada. Assembly 6 August 2010.

5 Fassin, D. (2015). L’Ombre du monde, Une anthropologie de la condition carcérale. Paris : Le Seuil.

6 Audition publique sur la réduction des risques et des dommages : publication du rapport d’orientation et recommandations de la commission d’audition, 7 et 8 avril 2015, Paris. http://www.addictologie.org/dist/telecharges/FFA2016_RapportOrientation&Recos.pdf

7 Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS). Organe technique de l’ONU.

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