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Le rétablissement au cœur des politiques de santé mentale

Michel LAFORCADE - Directeur Général de l’Agence Régionale de Santé Nouvelle Aquitaine, Bordeaux

Année de publication : 2017

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SANTE MENTALE, SCIENCES HUMAINES, Sciences politiques

Télécharger l'article en PDFRhizome n°65-66 – Apprendre le rétablissement (Décembre 2017)

Dans le domaine de la santé mentale, les activités de réhabilitation qui visent à apprendre aux personnes à gérer leur maladie sur le plan social se développent et le modèle du rétablissement connaît un essor considérable. Le rétablissement est fondé sur l’idée que la personne malade peut récupérer de son pouvoir d’agir, en s’appuyant sur ses compétences. Il consiste à se détourner de sa pathologie, de sa maladie et de ses symptômes pour se concentrer sur sa santé, ses forces et son bien-être.

C’est l’un des enseignements majeurs que j’ai tiré de la mission confiée par Madame la ministre des affaires sociales et de la santé, à l’issue de laquelle j’ai rendu un rapport relatif à la santé mentale en octobre 2016. Le fil conducteur concerne la logique de parcours, afin d’améliorer le parcours de soins et de vie des personnes, de promouvoir leur citoyenneté et combattre la stigmatisation de la maladie mentale. La notion d’empowerment, proche de celle de rétablissement, est reconnue au niveau international, définie ainsi par l’OMS : « l’emporwerment fait référence au niveau de choix, de décision, d’influence et de contrôle que les usagers des services de santé mentale peuvent exercer sur les évènements de leur vie. La clé de l’empowerment se trouve dans la transformation des rapports de force et des relations de pouvoir entre les individus, les groupes, les services et le gouvernement. » Le pouvoir d’agir se traduit par la défense des droits fondamentaux, l’égalité de traitement, la participation à l’organisation des soins et leur évaluation, et l’accessibilité à une information sur les troubles et la maladie. Cette approche récente s’est notamment traduite par la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016 qui, au sein de son article 691, définit le champ de la santé mentale et son organisation territoriale : « La politique de santé mentale comprend des actions de prévention, de diagnostic, de soins, de réadaptation et de réinsertion sociale.  Elle est mise en œuvre par des acteurs diversifiés intervenant dans ces domaines, notamment les établissements de santé autorisés en psychiatrie, des médecins libéraux, des psychologues et l’ensemble des acteurs de la prévention, du logement, de l’hébergement et de l’insertion. » Cette définition induit de nombreuses transformations, tant au niveau organisationnel qu’au niveau des pratiques, notamment la diversification des thérapeutiques proposées, la prise en soins prenant en compte les comportements des personnes, la reconnaissance de l’expertise d’usage des patients et de leur entourage, l’organisation de parcours de soins et de vie coordonnés. Certes, il s’agit de «  soigner » et donc de prendre en charge la pathologie, la souffrance, la crise, l’urgence. Mais, comme pour toute pathologie qui est souvent chronique, il s’agit de « prendre soin » et donc de se préoccuper de la vie des personnes, en les accompagnant au long d’un parcours.

Ce parcours n’est pas toujours simple et fluide, les ruptures peuvent être multiples : l’accès difficile au diagnostic et aux soins, les hospitalisations inadéquates, l’accompagnement social et médico-social défaillant, l’accès compliqué aux soins somatiques, la prévention aléatoire des situations de crises. La continuité de l’intervention socio-sanitaire est la clé du succès. Les conséquences sociales de la maladie, les restrictions à la citoyenneté, la perte de qualité de vie et parfois une immense solitude pèsent tout autant sur les personnes que l’impact de la symptomatologie clinique. Il faut donc leur donner autant d’importance dans les préoccupations organisationnelles et dans les politiques conduites par les agences régionales de santé. Des exemples sur le territoire montrent qu’un très fort investissement sur l’extra hospitalier permet de limiter nettement le nombre d’hospitalisations. Cela suppose un suivi résolument tourné vers l’ambulatoire. L’équipe se déplace sur le lieu d’hébergement pour assurer les soins, y compris les interventions psychosociales. L’intensité de cette présence à géométrie variable doit s’adapter aux besoins, allant du suivi courant au suivi de crise qui comporte plusieurs interventions par jour.

Dans cette logique de parcours sans rupture, et de promotion du rétablissement de la personne, plusieurs dimensions sont essentielles : les deux principales concernent le logement et l’emploi. L’accès au logement et le maintien dans celui-ci semblent être la première clé du succès. Sans logement,  pas de continuité de soin et d’accompagnement à la vie sociale. Comment soigner une personne si elle ne peut pas vivre dans des conditions lui permettant de couvrir ses besoins vitaux les plus élémentaires ? L’accès et le maintien dans le logement de droit commun ont une chance de succès s’il y a une présence de services d’accompagnement forts, afin d’aider à rompre l’isolement et s’assurer du mode d’occupation qui convient. Pour apporter l’autonomie nécessaire aux personnes concernées, il convient de mettre en place l’étayage nécessaire ainsi qu’un accompagnement global, social et médico-social, pour soutenir le projet d’accès au logement. L’accès au logement n’est pas le seul enjeu relatif à cette thématique. Le deuxième élément d’importance concerne le maintien dans le logement. Celui-ci nécessite un continuum dans la prise en charge, entre soins et accompagnement médico-social. Il est donc primordial que le bailleur trouve un interlocuteur quand la situation du locataire se dégrade (plus de contact, repli sur soi, troubles de voisinage, défaut manifeste d’entretien du logement occasionnant des nuisances à l’entourage). Il l’est tout autant de répondre au fort enjeu lié au maintien dans le soin, qui suppose que la psychiatrie se déplace dans le lieu de vie des personnes. La seconde dimension concerne l’emploi. Occuper un emploi revêt une importance fondamentale, d’abord pour le niveau de vie de la personne concernée mais également car c’est une condition essentielle de sa réhabilitation et de son insertion dans la société. L’insertion professionnelle constitue un enjeu majeur, qui interagit avec les problématiques sociales et de soin. Pour les personnes ayant un emploi (protégé ou non), le constat d’un trop faible étayage en termes d’accompagnement dans l’emploi (qui incombe au collectif de travail dans son ensemble, à l’employeur mais aussi à des accompagnants extérieurs, à des associations spécialisées) est trop souvent exprimé et nécessite d’être renforcé. Pour les personnes malades dépourvues d’emploi, différentes mesures, toutes inspirées de dispositifs existants, existent et peuvent être développées, comme la création de structures de type « clubhouse » et l’inscription dans une logique de « travailler d’abord », en envisageant la mise en place de dispositifs d’accompagnement à l’emploi en lien avec des chefs d’entreprise, en garantissant d’intervenir en cas de besoin et de difficulté dans l’entreprise et en encourageant les usagers éprouvant une difficulté envers le travail en entreprise à pratiquer des activités de création (arts plastiques, poésie, etc.). Il peut également être envisagé de mettre en place des ateliers de pédagogie spécialisée, proposant des actions sur-mesure pour les personnes atteintes de pathologies lourdes, avec accompagnement en entreprise, de développer les ESAT qui proposent des prestations hors les murs permettant d’insérer les travailleurs handicapés dans des environnements de travail ordinaires, et de réserver des places pour les handicapés psychiques dans les ESAT.

Il faudra articuler ces mesures avec la conjugaison des soins de proximité et l’accès aux différents services de prévention et techniques de prise en charge : techniques cognitivo-comportementales et réhabilitation psychosociale. Plus largement, toutes les activités permettant le rétablissement de la personne sont essentielles et méritent d’être développées  : accès à la scolarisation, à la culture, à l’activité physique. Pour ce faire, il convient d’améliorer la collaboration entre les acteurs sanitaires, sociaux et médico-sociaux. Celle que l’on observe entre les services de psychiatrie et les structures médico-sociales est souvent fragile, reposant beaucoup plus sur l’engagement et la bonne volonté des acteurs que sur une organisation rationnelle bâtie par tous, ce qui ne suffit pas et ne garantit pas l’égalité de traitement pour usagers selon les territoires dans lesquels ils sont pris en charge. La préoccupation centrale doit être tournée vers l’amélioration du parcours de santé mais aussi de vie des personnes souffrant d’un trouble psychique, étayé par la notion de « rétablissement ».

Toutes ces options, résolument tournées vers l’objectif du rétablissement des personnes, reçoivent actuellement une traduction concrète au sein de la région Nouvelle-Aquitaine. Tout d’abord, un programme d’actions visant le maintien ou le retour au logement autonome, par l’organisation des accompagnements sociaux et médico-sociaux nécessaires et le développement de l’offre de logements inclusifs adaptés aux personnes souffrant de troubles psychiques, est mis en place et se traduit par les mesures suivantes : le développement de l’habitat inclusif, à distance de l’accueil en établissement comme du logement dans sa famille ou dans un habitat ordinaire totalement autonome ; le libre choix de la personne en situation de handicap doit être systématiquement recherché, afin de garantir un mode de vie autonome à domicile, intégré dans la cité; la stratégie de déploiement de l’offre de logement inclusif pour les personnes handicapées psychiques doit être couplée à des modalités renforcées d’intervention et de suivi dans le cadre des activités ambulatoires du secteur.

Ensuite, a été élaboré un programme d’actions visant la scolarisation et l’accès aux études, l’insertion ou la réinsertion dans le travail. Ce programme, qui commence à être décliné, prévoit l’appui des professionnels de santé mentale et le développement de l’offre d’emploi protégé ainsi que de l’offre d’emploi accompagné en milieu ordinaire. Le cahier des charges de ces dispositifs et le rôle de l’Agence Régionale de Santé sont définis : un dispositif souple et contractuel est mis en œuvre aux fins d’insertion dans le milieu ordinaire de travail. Ce dispositif vient en appui d’une convention de gestion impliquant les établissements sociaux et médico-sociaux en lien avec l’ensemble des partenaires de « droit commun » du secteur de l’emploi et de l’insertion professionnelle, avec inscription dans le cadre du plan régional d’insertion des travailleurs handicapés et une accessibilité dès l’âge de 16 ans, à la fois pour les personnes en situation de handicap bénéficiaires de la RQTH qu’ils soient en ESAT ou pas. Il appartient donc aux acteurs de la santé mentale, dans leur ensemble, de poursuivre plusieurs objectifs essentiels, dont le rétablissement des personnes constitue le fil rouge :

– Un parcours de santé et de vie sans rupture, privilégiant l’autonomie des personnes et l’appropriation de leur parcours par elles-mêmes;

– Une dimension sociale de l’accompagnement renforcée (logement, emploi, scolarisation, etc…), donc tout ce qui concourt à permettre à la personne d’atteindre un rétablissement;

– Une poursuite de l’extension des GEM, en incluant si possible les problématiques d’insertion professionnelle (modèle du club house);

– Une promotion accrue de la citoyenneté des personnes et la lutte contre la stigmatisation de la maladie mentale;

– Le développement des CLSM, après qu’ils aient reçu une consécration législative via la loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016.

Pour terminer, je souhaite citer un extrait du document Faire du rétablissement une réalité2 qui définit, me semble-t-il, de façon très pertinente, l’objectif vers lequel nous devons tendre  : « Le rétablissement est une idée qu’il est temps de concrétiser et au cœur de laquelle se trouve un ensemble de valeurs sur le droit de se bâtir une vie riche de sens, avec ou sans la présence continue de symptômes de maladie mentale. Le rétablissement fait appel à l’autodétermination et à l’autogestion. Il souligne l’importance de l’espoir pour maintenir la motivation et soutenir les attentes d’une vie pleinement enrichissante. »

Notes de bas de page

1 Article L 3221-1 du code la santé publique modifié.

2 Shepherd, G., Boardman, J. et Slade, M. (2012). Faire du rétablissement une réalité. Édition Québécoise. Institut universitaire de santé mentale Douglas.

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