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Morts de la Rue et « Goutte de Vies » : un collectif toulousain

Aude BRUNEL - Secrétaire général de Goutte de Vies
Yves CEVENNES - Cadre de santé, Chambres Mortuaires du Centre Hospitalier Universitaire de Toulouse Partenaire du collectif Goutte de Vies Toulouse

Année de publication : 2017

Type de ressources : Rhizome - Thématique : PUBLIC PRECAIRE, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°64 – Ces morts qui existent (Juin 2017)

Après avoir pris en charge et accompagné plusieurs cas d’espèce, en 2008 à Toulouse, un groupe de bénévoles crée le collectif « Goutte de Vies ». L’objectif est, en premier lieu, de rassembler les énergies et bonnes volontés prêtes à contribuer au repérage, à l’accompagnement de la fin de vie des personnes qui vivent ou ont vécu à la rue, et ce jusqu’à leurs funérailles. La confrontation au décès sur le terrain a mis en évidence différentes problématiques.

Une population précaire en pleine évolution

En 2008, les SDF constituaient le noyau principal de cette population indigente. Les décès se produisaient dans la plupart des cas sur la voie publique, dans des logements mis à disposition, dans des squats… Au fil des années, on a assisté à une évolution importante : les SDF n’étaient plus les seuls à être dans une situation de très grande précarité dans leur fin de vie. Ce constat s’appuie sur le suivi mis en place, année après année, par le collectif en lien avec les différents intervenants : d’une trentaine de cas dénombrés en 2008 sur le CHU de Toulouse, on est passé huit ans plus tard à soixante-deux cas, soit 100% d’augmentation1.

L’indigence, définie comme la « situation de quelqu’un qui manque des choses matérielles les plus nécessaires à la vie, comme la nourriture, l’argent »2 , s’est transformée au gré de l’évolution de notre société en « un manque des choses matérielles, et de liens sociaux et familiaux ». Elle englobe les SDF et les personnes identifiées comme vivant dans une très grande précarité, mais aussi des citoyens établis, ayant un logement, mais restant, au moment de leur décès, sans famille connue ou en rupture familiale depuis de nombreuses années. Les corps de ces défunts vont alors mobiliser l’intervention de nombreux professionnels avant de pouvoir bénéficier du repos éternel auquel a droit chaque être humain.

La fracture sociale, si souvent mise en avant par les Politiques afin d’expliquer en partie la paupérisation de notre société, laisse apparaitre une atténuation, voire de dissolution, de la solidarité familiale tant affective que pécuniaire. Les relations intergénérationnelles résistent difficilement aux individualismes et aux conflits familiaux. Les personnes isolées du fait d’une rupture familiale volontaire (ou subie), se retrouvent seules au moment de leurs funérailles.

Le cadre règlementaire et législatif

Au moment du décès, qu’il fasse l’objet d’une enquête judiciaire pour recherche des causes de la mort ou bien qu’il ait eu lieu dans un établissement de santé, le corps de la personne va être conservé dans une chambre mortuaire. L’institution judiciaire ou de santé va rechercher une famille, des proches. Le Code Général des collectivités Territoriales (CGCT) indique que l’inhumation doit avoir lieu sous 6 jours, et par ailleurs, le Code de la Santé Publique (C.S.P.) précise les modalités à la disposition de l’établissement de Santé dépositaire du corps si ce dernier n’est pas réclamé sous 10 jours. Ces délais sont souvent en contradiction avec ceux nécessaires à la réalisation des recherches ci-dessus : retrouver trace d’une famille après une rupture totale des contacts ou bien dans le cas de personnes « isolées », s’avère difficile car peu d’indices sont à disposition. Les associations qui ont pu être en contact avec la personne décédée, sont souvent un recours important. Sur Toulouse, le collectif « Goutte de Vies-CMR31 » assure ce rôle de facilitateur : son réseau relationnel a souvent permis de retrouver des familles en récupérant des informations auprès d’institutions très diverses.

Ensuite, dans le cas où le défunt est isolé et sans ressources ou si sa famille elle-même est sans ressources, les textes législatifs et règlementaires précisent que : l’établissement de santé peut faire procéder à l’inhumation selon les ressources laissées par le défunt (art. R.1112-76 du C.S.P.), ou bien cette mission de service public sera assurée par la commune (art. L.2223-27 du C.G.C.T.). Néanmoins, dans la plupart des cas rencontrés, on se trouve face à une famille qui refuse de prendre en charge l’organisation des funérailles pour des raisons de conflits intrafamiliaux. La démarche mise en place sera alors différente : le CHU adresse par courrier une demande de prise en charge de l’inhumation à la mairie de la commune de décès. Cette prise en charge représente pour la commune un coût certain, d’autant plus important que son budget est contraint, et que le nombre de demandes augmente de façon exponentielle. Elle pourra alors, dans le cas où la famille serait retrouvée, demander aux héritiers directs une participation aux frais engagés ou bien se porter créancier sur la succession du défunt si celui-ci disposait de biens.

L’aspect financier de ces décès a un impact majeur sur la diligence des élus à gérer ces dossiers. La solidarité nationale sera mobilisée, mais tout sera mis en œuvre afin de retrouver les héritiers du défunt. Ils pourront être sollicités, a posteriori, au titre de l’obligation alimentaire afin de rembourser tout ou partie des frais funéraires engagés par la commune.

Les interlocuteurs « ressources »

Le collectif « Goutte de Vies » après avoir effectué un état des lieux des ressources, s’est attaché au fil des années à tisser des liens particuliers avec les établissements de santé, la Justice et les Forces de l’Ordre, la mairie et ses différents services, les associations adhérentes en lien direct avec le terrain. L’objectif était et reste le recueil des informations concernant le parcours de vie du défunt auprès de chaque interlocuteur. Toutes les ressources professionnelles sont mobilisées pour que, au bout du chemin, le décès permette de retrouver si possible une famille, des proches. Les liens pourront alors, si les parties en présence le souhaitent, être renoués avec bienveillance sous la forme de témoignages, ou par une présence au moment de l’inhumation.

Il arrive parfois que le lien ne puisse pas être rétabli. Ce sont alors des bénévoles du collectif qui prépareront la cérémonie laïque, et accompagneront le défunt vers sa dernière demeure au cours d’un hommage individualisé en présence des copains de la rue et/ou des personnes qui ont connu et côtoyé le défunt.

Notes de bas de page

1 CHU Toulouse. (2016). Bilan d’activité des Chambres Mortuaires

2 Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales.

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