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La précarité n’est pas une situation exceptionnelle

Régis AUBRY - Ancien président de L’observatoire National de la Fin de Vie (ONFV) Responsable du département douleur-soins palliatifs CHU Besançon Besançon

Année de publication : 2017

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Médecine, PUBLIC PRECAIRE, SCIENCES MEDICALES, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°64 – Ces morts qui existent (Juin 2017)

L’hôpital demeure encore aujourd’hui, en partie, le mode d’accès aux soins des personnes en grande précarité1. De fait, ce sont les services des urgences qui constituent pour les personnes précaires le « service de premier recours ».

Lorsqu’une personne « sort de la norme » – parce qu’elle n’a pas de lieu de vie personnel, pas de possibilité de rester à domicile, pas de moyens pour intégrer une structure d’hébergement ou encore parce qu’elle ne peut pas rester dans une telle structure parce que celle-ci n’offre pas la médicalisation suffisante – elle finit sa vie à l’hôpital.

Or, les résultats des enquêtes renforcent la conviction que l’hôpital ne permet pas un accompagnement digne de ces personnes : elles se trouvent au contraire alors en situation d’indignité, victimes de stigmatisation voire d’une forme de ségrégation, au motif qu’elles « coûtent cher », qu’elles « ne rapportent pas », qu’elles prennent la place de personnes qui ont « véritablement » besoin de l’hôpital dans sa fonction sanitaire.

La précarité comme déterminant de santé est ignorée par le système de santé lui-même : ainsi, le Programme médicalisé des systèmes d’information (PMSI) ne permet pas de caractériser la situation socioéconomique des patients puisqu’il ne concerne que l’activité d’hospitalisation. Ainsi, pour près de la moitié des patients en fin de vie hospitalisés, aucune information n’est disponible concernant leur capacité à subvenir à leur besoin et on peut dire en général qu’il n’existe pas d’outils de repérage des précarités dignes de ce nom.

Ce rapport montre qu’il existe une myriade de structures, organisations et associations destinées à l’accompagnement des personnes en situation de précarité ; mais ces structures sont en général inadaptées à la fin de la vie. Cette diversité nuit d’ailleurs à leur visibilité et à leur compréhension ; elle témoigne probablement de l’absence d’une véritable politique structurée pour les personnes précaires. Elle est plus le fruit de différentes formes de solidarités et d’expériences abouties que d’une véritable politique.

Le cloisonnement entre structures sociales et structures sanitaires est apparu évident et préjudiciable dans ce rapport. À l’intérieur des structures destinées à l’accompagnement des personnes en situation de précarité, à dominante sociale, plutôt vouées à la réinsertion, les professionnels sociaux ne se sentent pas partie prenante de l’accompagnement de fin de vie ; s’ils ont un rôle véritable d’accompagnement dans les démarches sociales, ils pensent que la fin de vie est le domaine des « experts soignants ». En miroir, du côté des acteurs du champ sanitaire, les professionnels de santé ont une méconnaissance de la situation sociale des personnes, et plus encore des dispositifs et des ressources du champ social. Il existe de fait peu de réelles collaborations entre, d’une part, les acteurs et les structures chargés de l’accompagnement de la fin de vie et des soins palliatifs, et d’autre part, ceux qui ont en charge l’accompagnement social. Le cloisonnement de notre système de santé apparait évident et totalement inopérant puisqu’il rend les acteurs du soin et de la santé aveugles aux réalités.

Ni l’organisation de notre système de santé, ni la formation des professionnels, ni les structures d’hébergement n’ont réellement intégré cette issue (la fin de vie) pourtant inévitable et réelle des personnes en situation de précarité : en conséquence, celles-ci meurent plus tôt, finissent mal leur vie et meurent où elles peuvent. Parfois même leur inhumation est niée. Il est donc encore des morts anonymes et donc indignes.

La précarité gagne du terrain : ainsi, il ne faut pas méconnaitre une conséquence impensée des avancées et des progrès de la médecine : rendre possible le prolongement de la vie avec une maladie grave peut s’accompagner, plus fréquemment qu’on l’imagine lorsque les revenus du foyer sont faibles, d’une précarisation, pouvant aller jusqu’à la perte du logement. Il existe donc une précarisation du fait de la maladie.

Il faudrait augmenter le nombre d’EHPAD (Etablissements d’Hebergement pour Personnes Agées Dépendantes) qui accueillent spécifiquement des personnes âgées sans domicile ou en situation de grande précarité financière ; augmenter les dispositifs de type lits d’accueil médicalisés, spécialisés dans l’accueil des personnes sans domicile atteintes de pathologies chroniques à pronostic plus ou moins sombre. Les Appartements de Coordination Thérapeutique (ACT), de par leurs missions de coordination médicale et psycho-sociale, leur accueil sans limitation dans le temps des personnes malades en situation de précarité et de leurs proches aidants semblent être l’un des rares dispositifs adaptés pour l’accompagnement des personnes en fin de vie en situation de précarité. Enfin, l’hospitalisation à domicile (HAD) est potentiellement un formidable outil pour l’aide au maintien dans leur lieu de vie des personnes en fin de vie et notamment des personnes en situation de précarité. Il faudrait réfléchir à des actions pour qu’au-delà de la visée de l’aide au maintien à domicile, les HAD deviennent un outil de la solidarité pour les plus précaires. Les pensions de familles, qui accueillent sans limitation de durée des personnes sans domicile, au faible niveau de ressources, dans une situation d’isolement ou d’exclusion lourde pourraient être également investies. Enfin, le bénévolat d’accompagnement devrait être une des expressions de la solidarité envers les personnes les plus précaires et fragiles.

L’intervention des structures de soins palliatifs, comme les équipes mobiles de soins palliatifs, serait à favoriser dans tous les lieux où sont les personnes en situation de précarité afin de privilégier les coopérations et créer une véritable inter acculturation entre les professionnels.

Il serait nécessaire de former les étudiants en santé et les professionnels de santé à la réalité de la précarité, à la spécificité des situations et à la prise en charge de ces personnes vulnérables. Il faudrait mettre en place des outils de repérage des fragilités sociales dans le champ du soin à l’hôpital et à domicile à l’attention des équipes soignantes.

Dans tous les lieux qui sont amenés à permettre l’accompagnement de personnes précaires en fin de vie, il serait important de développer l’accueil et l’accompagnement des proches. En effet, la situation de précarité d’une personne malade concerne aussi généralement ses proches ; leur précarité peut être aggravée du fait de la maladie et du décès. Le besoin d’aide est évident. Or, le rôle des professionnels auprès des accompagnants, avant et après le décès, n’est ni reconnu ni valorisé.

En conclusion, ce rapport de l’ONFV montre que la fin de vie des personnes en situation de précarité est un double impensé. Il existe une réelle pauvreté et une réelle précarité dans notre pays. La précarité facilite la maladie grave et la maladie grave facilite la précarisation. Précarité et précarisation sont de véritables accélérateurs d’inégalité : inégalité d’accès aux soins, inégalité de prise en charge, inégalité d’accompagnement. La fin de vie des personnes en situation de précarité n’est pas pensée puisqu’aucun lieu n’est réellement prévu pour l’accueillir et que les professionnels pensent qu’il s’agit « de l’affaire des autres professionnels ». Les personnes déjà marginalisées ou exclues du fait de leur précarité finissent leur vie où elles peuvent et où elles se trouvent.

Chaque territoire de santé devrait disposer d’une filière explicite pour la prise en charge médicale et l’accompagnement des personnes en fin de vie en situation de précarité.

Pour aller plus loin…

Afin de consulter et de télécharger le rapport complet Fin de vie et précarité, de l’Observatoire national de la fin de vie, nous vous invitons à vous rendre sur le site : www.onfv.org

Notes de bas de page

1 L’observatoire National de la Fin de Vie (ONFV) a consacré ses travaux en 2014 à la précarité et à la fin de vie. L’Observatoire souhaitait éclairer une double zone d’ombre : celle de la fin de la vie et de la mort, celle de la précarité. Le rapport de l’ONFV était issu de plusieurs enquêtes qu’il a conduit : « La fin de vie en Appartement de coordination thérapeutique » ; « SCEOL : Situation sociale des patients en fin de vie à l’hôpital » ; « La Fin de vie des patients Hospitalisés à Domicile » ; « L’accompagnement social des personnes en fin de vie et en situation de précarité à l’hôpital » ; « Fin de vie en Centre d’hébergement et de réinsertion sociale » ; « Unités de Soins Palliatifs et précarités » ; « Equipes Mobiles de Soins Palliatifs et précarités » ; « Fin de vie en pension de famille » ; « CCAS et inhumation des indigents ».

Sur 10 000 personnes hospitalisées en France chaque semaine, 2500 sont en fin de vie, dont 13% en situation de précarité. La moitié de ces personnes en fin de vie en situation de précarité le sont du fait de leur maladie.

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