Vous êtes ici // Accueil // Publications // Rhizome : édition de revues et d'ouvrages // Rhizome n°62 – Usage(r)s de drogues (Décembre 2016) // Quel accompagnement pour les usagers « actifs » ?

Quel accompagnement pour les usagers « actifs » ?

François HERVE - Conseiller technique addictions Association Aurore, Paris

Année de publication : 2016

Type de ressources : Rhizome - Thématique : PUBLIC PRECAIRE, Santé publique, SCIENCES HUMAINES, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°62 – Usage(r)s de drogues (Décembre 2016)

Le dispositif « PHASE »  accueille des personnes en situation d’addiction et souffrant de fragilités psychiques, en situation sociale précaire et sans lieu de vie stable, nécessitant un traitement hépatique. Disposant de 10 places dans un immeuble divisé en appartements de 2 ou 3 personnes, les personnes hébergées sont orientées et le plus souvent suivies par le CSAPA « La Terrasse » qui assure les soins en ambulatoire. L’objectif du dispositif est de créer et maintenir un lien facilitant l’adhésion des personnes à un projet de soins. Le règlement de fonctionnement établi avec les usagers ne sanctionne pas les consommations au sein des appartements. Le règlement établi avec les usagers prohibe la consommation d’opiacés du fait des risques d’overdose.

Le dispositif « ASSORE »  propose un suivi médico-social d’usagers de drogues actifs, orientés par les services de la Préfecture de Paris en sortie de squat, après évaluation par un CAARUD. Ce dispositif suit environ 60 personnes, hébergées en chambre d’hôtel par le Samu social. Comme pour le précédent, le premier objectif est de créer et maintenir un lien avec les personnes, éviter la reformation de squat, et accéder aux dispositifs de droit commun.

Les usagers de ces dispositifs, issus du nord est parisien, sont principalement des utilisateurs de crack (drogue dérivée de la cocaïne, à fumer).

Face à la situation de nombreux usagers de drogues précarisés et leur difficulté à accéder à des hébergements durables ou de s’y maintenir, il nous est apparu nécessaire de proposer des réponses adaptées à travers deux dispositifs expérimentaux dénommés « Phase» et « Assore »1. Il s’agit pour l’un en immeuble semi collectif, l’autre en chambre d’hôtel, de proposer un hébergement inconditionnel2, non lié à une démarche de soins ni même à un engagement vis-à-vis des consommations.

Il s’agit de viser d’abord, au rythme de chacun, une amélioration de sa situation sociale, la restauration d’un socle minimal, un appui, une sécurité suffisante sur au moins un pan de sa vie, pour pouvoir envisager à petits pas une nouvelle place suffisamment satisfaisante au sein de la collectivité.

En effet, une situation sociale dégradée, la réitération des refus vécue comme des échecs, la perte des appuis sociaux, affectifs, voire identitaires, génèrent un sentiment d’indignité, une perte d’estime de soi, voire des comportements d’auto-exclusion. Or, pour élaborer un projet, aussi minimal soit-il, il faut d’abord s’aimer un peu soi-même, se reconnaitre, et être reconnu dans le regard d’un autre.

Plus qu’un projet de soins, il s’agit d’un projet « d’hospitalité », dans lequel les professionnels s’adaptent, se rendent disponibles à la relation, s’adressent aux personnes avec égard, et visent à garantir une permanence du lien, et non à imposer un trajet. L’accueil se veut ouvert, respectueux de l’expérience de vie de chacun, appuyé sur prise en considération, et le maintien d’une distance non intrusive et respectueuse, alliée à une attention chaleureuse, une prise en compte de la parole, des tensions ressenties, autant d’attitudes favorisant la construction d’une relation et l’intégration dans un groupe. Ce n‘est qu’une fois la personne rassurée, qu’un projet de vie peut se substituer aux stratégies de survie.

Le règlement de fonctionnement est minimal, repose sur des recommandations de rencontres, un accompagnement conseillé mais non imposé, un ferme refus de la violence comme mode de relation. Il est à noter que ces dispositifs fonctionnent en lien étroit avec les CAARUD ou CSAPA partenaires, qui orientent les usagers et restent leurs premiers interlocuteurs. Afin de ne pas multiplier les lieux de rencontre, la plupart des rendez-vous concernant le suivi de l’hébergement se tiennent d’ailleurs dans les locaux de ces partenaires. Cela est d’autant plus important que certains n’investissent pas d’emblée l’hébergement, alternent pour un temps périodes dans la rue et périodes dans l’hébergement. Cela permet aussi de centrer notre action sur le « vivre ensemble » plus que sur l’addiction, et de dissocier autant que faire se peut les questions relatives à l’hébergement des problématiques de consommation.

Soulignons que ce travail nécessite de bouleverser les pratiques habituelles, de réinventer des modes de relations respectueux des peurs et des difficultés à se projeter, de mettre de côté, provisoirement au moins, les standards du travail social et de ses normes pour privilégier la construction et l’apprentissage d’une relation de confiance, qu’il faudra s’attacher ensuite à ne pas décevoir. Concrètement, cela implique d’abandonner des modes de lecture désormais datés des comportements addictifs, telle l’interprétation des re-consommations comme des attaques au cadre, « transgressions » sanctionnables d’exclusion, au profit d’un mode d’intervention qui privilégie le maintien d’une possibilité de relation et de vie sociale. Cela implique aussi d’agir beaucoup sur et avec l’environnement (par exemple choisir les hôteliers et travailler régulièrement avec eux), de ne pas forcer l’élaboration d’un projet, ou parfois de le limiter à… ce qu’on va faire dans l’heure qui suit.

Toutes les personnes accompagnées ont souhaité bénéficier ou ont maintenu un accompagnement, bien que non obligatoire, et nous constatons, ce que confirment nos partenaires, l’amélioration parfois spectaculaire de l’état de santé général, ainsi qu’une évolution positive du rapport aux consommations (meilleure gestion, diminution) et des capacités relationnelles.

Il faut souligner que ces dispositifs ont vu le jour en réponse à des situations complexes au niveau d’un territoire, tant du point de vue de la santé que d’ordre public, ici la consommation de crack sur certains sites du nord-est parisien. C’est la mise en commun de différents acteurs et de différents regards, élus, représentants de la santé, de la préfecture, de la police, intervenants de terrain, qui a permis d’inventer des solutions et des montages originaux qui ne préexistaient pas à ces rencontres.

À l’heure où se mettent en place pertinemment les salles d’injection à moindre risque, mais aussi à l’heure où l’on incendie les lieux destinés à l’accueil de ceux qui ont fui la mort, n’oublions pas que l’accès à la sécurité inconditionnelle d’un toit est déterminante dans la capacité d’une personne à construire son avenir.

Notes de bas de page

1 Baraton, G. et Hervé, F. (2013). Mijaos. Phase, deux dispositifs pour les crackers actifs. SWAPS, (70).

2 Ces dispositifs s’inspirent des principe du « Housing first », ou « logement d’abord », qui visent à proposer un hébergement durable de façon inconditionnelle, associé à la mise en place des soutiens nécessaires à la personne, rompant en cela avec la pratique courante de l’accès à un logement en fin de parcours de soins et d’insertion.

Publications similaires

L’accueil des demandeurs d’asile placés en procédure Dublin en France

accueil - accompagnement - asile - accompagnement - accompagnement - asile

Julia BRILAND - Année de publication : 2021

Demande d’asile et préoccupation de santé mentale

hébergement - hospitalité

Valérie COLIN et Christian LAVAL - Année de publication : 2005

Trouver la bonne « distance » dans le suivi de demandeurs d’asile en psychiatrie de ville. A propos d’une expérience auprès de migrants d’Afrique subsaharienne.

asile - clinique - psychiatrie publique - migration