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L’ouverture de Salles de Consommation à Moindre Risque. Une « affaire » d’éthique ?

Jean-Pierre LHOMME - Médecin Généraliste Président de l’association GAÏA Paris regroupant un CSAPA, et un CAARUD porteur du projet de Salle de Consommation à Moindre Risque, Paris Praticien attaché Centre de Soins et d’Accompagnement des Pratiques Addictives, Hôpital Marmottan, Paris Membre du Conseil d’Administration de Médecins Du Monde

Année de publication : 2016

Type de ressources : Rhizome - Thématique : PUBLIC PRECAIRE, Santé publique, SCIENCES HUMAINES, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°62 – Usage(r)s de drogues (Décembre 2016)

Ces Salles de Consommation à Moindre Risque (SCMR) sont une réponse pragmatique qui fait prise en compte de nos responsabilités, de nos obligations à l’égard de personnes ne pouvant pas ou ne voulant pas pour un temps donné sortir de leurs consommations de drogues et s’enfoncent alors dans la précarité, la désaffiliation.

Elles répondent à ces enjeux d’éthique médicale, d’éthique sociale en créant des conditions d’une relation possible avec ces personnes en désaffiliation qui ne fréquentent ni CSSAPA1 ni CAARUD. Une éthique du moindre mal, du préférable, du gain de chance et du vivre ensemble.

Ces SCMR ont comme objectifs premiers de réduire la mortalité, la morbidité, l’exclusion sociale et indirectement restaurer la tranquillité publique.

Confronté à une intentionnalité de soin frileuse, l’accès donné sans conditions extravagantes, inadaptées aux personnes en grande difficulté permet de leur proposer une prise en charge globale : prendre en considération leurs besoins élémentaires malgré leurs contraintes et leurs difficiles conditions de vie : absence de logement, de droits sociaux… l’usage de drogues faisant partie de ces contraintes. Le lien peut alors se construire.

Ces SCMR offrent aux usagers les plus vulnérables un lieu d’accueil, de convivialité et de repos et un espace ou des sous-espaces dédiés à la consommation, les produits consommés étant apportés par les usagers. Ces salles fournissent le matériel stérile nécessaire (seringues, aiguilles, pipes…) et permettent de réduire les risques d’infections virales et bactériennes (sida, hépatites), les risques d’overdose mortelle.

Ces dispositifs sont insérés dans un réseau de services qui permet un continuum de prise en charge qui va de la rue au rétablissement de la santé.

Les difficultés rencontrées lors de la construction de ces projets se sont posées de façon diverses selon les protagonistes : conditions d’accès, lieu d’implantation, types de réponses, de services rendus, composition de l’équipe de professionnels… En fait, elles étaient toutes fortement imprégnés par ou centrées sur l’acceptation de la consommation de produits prohibés ou détournés qui était actée là, dans ces dispositifs.

Faire de la consommation un axe de travail dans un lieu de prévention pour prendre soin, faire soin, aller vers le « soin », fait rupture avec le « débat » suranné faisant différence, voire opposition entre soin et prévention. La Réduction des risques fait soin à tous les instants de la trajectoire des personnes y compris le sevrage si la décision est là, muri dans le lien construit. Il fallait donner des garanties renforçant alors un cadre déjà très « serré », au risque de trop le « médicaliser » en gage de l’acceptation de cet acte de consommation de drogues. Un acte, effacé du champ d’intervention sanitaire parce que trop gênant, comme si ce serait l’avaliser, comme si s’en préoccuper était contradictoire à la mission de Soin avec un grand S.

Ceci vaut tant pour une partie des professionnels de santé, du social, que pour les décideurs politiques : une réminiscence vivace du « tout sevrage » héritage de la loi de 70, même si la substitution a minoré cette posture.

Pour d’autres protagonistes, le versant répressif notamment, l’acceptation de l’usage de produits prohibés ou détournés assimilé à « l’usage simple de stupéfiants » dans un lieu de prise en charge sanitaire bouscule brutalement leurs fondamentaux sanctuarisés par cette loi de 70, même si certains sont déstabilisés par le peu de résultats de ce versant répressif sur la consommation des drogues en France.

L’antagonisme, entre protection de la santé et objectifs de sécurité entretenu par cette loi, n’a pas aidé à l’ouverture vers des positions consensuelles. Les tensions entre répression et soin induites par cette loi se sont manifestées tout au long de la construction négociation de ces projets.

La circulaire de politique pénale relative à l’ouverture des premières salles de consommation à moindre risque, espace de réduction des risques par usage supervisé du 13 juillet 2016 donne un cadre permettant ouverture.

Inévitablement et surtout dans les premiers mois d’ouverture de ces SCMR, difficultés rencontrées, négociées tout au long du parcours du combattant qu’a été le travail depuis une dizaine d’années pour l’ouverture de ces SCMR en France (la remise en cause du projet par le Conseil d’état en 2013 n’étant qu’un épisode) vont être là.

Sachons concilier le principe de responsabilité et le principe de l’efficacité, avec son corollaire, le pragmatisme, pour faire place à cette éthique du moindre mal, du préférable, du gain de chance et du vivre ensemble.

Aller au delà des postures héritées de l’académisme médical, ancrer ces approches et réponses dans des modalités qui procèdent du non abandon, relèvent d’un souci partagé du bien commun.

Cette décision d’ouverture des SCMR et l’engagement fort des associations investies dans ces projets soutenus largement par la communauté professionnelle comme celles des personnes concernées est une réponse forte aux enjeux d’éthique médicale et sociale auxquels nous sommes tous confrontés. Pourvu qu’on lui donne la possibilité de faire démonstration en France, démonstration faite depuis plus d’une vingtaine d’années dans bon nombre de pays.

Transversalité, écoute réciproque, coopération s’imposent pour que se développe cette initiative.

Notes de bas de page

1 Centre de Soins d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA).

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