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Entretien avec Julien Chambon, chef de service en CSAPA

Julien CHAMBON - Chef de service CSAPA Tempo OPPELIA, Valence

Année de publication : 2016

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Santé publique, SCIENCES HUMAINES, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°62 – Usage(r)s de drogues (Décembre 2016)

Les CSAPA

Les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) sont des établissements pluridisciplinaires qui ont pour mission d’assurer des actions de prévention et de soins anonymes et gratuites à destination des personnes souffrant d’addiction et de leur entourage. Les CSAPA regroupent depuis 2011 les centres spécialisés de soins aux toxicomanes (CSST) et les centres de cure ambulatoire en alcoologie (CCAA). Les CSAPA ont aujourd’hui la vocation d’apporter une prise en charge globale sur toutes conduites addictives, quel qu’en soit l’objet.

Rhizome : Qui sont les usagers de votre dispositif ? Constatez-vous une évolution du public ?

Julien Chambon : Nous accueillons tout type de personne concernée de près ou de loin par une problématique addictive. Nous recevons aussi bien des membres de l’entourage que les usagers eux-mêmes, quelles que soient leurs pratiques, leur âge, etc. Si j’en crois les « anciens » de l’équipe, il y a une évolution très nette dans les caractéristiques de notre public, qui témoigne de plus en plus d’une extrême souffrance psychique. La toxicomanie a toujours été perçue comme ayant partie liée à la délinquance d’une part, à la maladie d’autre part, et, de fait, en tant que CSAPA/CAARUD, nous avons toujours été confrontés à ces deux réalités. Mais il faut bien avouer que la question des comorbidités psychiatriques prend désormais une place prépondérante dans nos accompagnements. À un moment donné, il y a eu un glissement sociétal qui nous a fait passer des drogues comme instruments d’affirmation identitaire, aux drogues qui permettent de tenir face à des exigences sociales toujours plus contraignantes. La typologie de notre public suit cette évolution : nous sommes toujours davantage confrontés à des personnes qui sont incapables de survivre à leurs troubles psychiques sans le recours à des psychotropes extrêmement puissants, et qui nous témoignent au quotidien cette impuissance. Ce qui est vrai pour les drogues illicites l’est tout autant pour les drogues licites.

R : Pouvez-vous nous en dire plus sur la finalité de votre action ?

JC : La finalité de notre action, c’est de permettre à des personnes en souffrance de retrouver un peu de pouvoir d’agir sur leurs vies, c’est à dire sur les différentes sphères de leurs vies, et pas uniquement sur leurs consommations de psychotropes, même s’il s’agit bien sûr d’un élément central et incontournable. Nous essayons donc de partir des attentes et besoins de la personne, qui ne portent pas toujours sur une hypothétique abstinence, mais qui visent bien souvent la forme de régulation des consommations la plus adaptée à sa situation. Une fois cette base posée, on se rend vite compte que la séparation entre réduction des risques et soins n’a rien de naturel. Délivrer des conseils et du matériel de RDR, faciliter le recours au droit commun, favoriser les rapprochements familiaux, c’est déjà prendre soin, davantage à notre sens que de multiplier les sevrages malheureux. Concrètement, nous faisons de moins en moins le distinguo.

R : Diriez-vous que vous participez d’une logique de contrôle social ? Qu’est-ce que vos financeurs attendent de vous ?

JC : Nos financeurs attendent de nous que nous mettions en œuvre une politique de santé publique, et c’est une mission à laquelle nous souscrivons pleinement, tout en gardant à l’esprit que les politiques de santé publique peuvent effectivement servir une forme de contrôle social. C’est d’ailleurs le fondement même de la Loi de 70 qui règlemente notre activité et qui nécessiterait d’être révisée. De toute façon, il nous est impossible de nous voiler la face : les usagers – et notamment ceux qui sont sous TSO1 depuis de nombreuses années, ne manquent pas de nous rappeler la dépendance institutionnelle dans laquelle ils se trouvent vis à vis de nous. Mais, nous avons la chance d’intervenir dans un champ – l’addictologie – qui se remet perpétuellement en question, qui cherche à innover, et qui tient compte de la parole des usagers.

R : Avec quels professionnels avez-vous l’habitude de travailler ?

JC : Nous travaillons en lien étroit avec tous nos partenaires du réseau de soin en addictologie, car la complémentarité de nos dispositifs (soins, accompagnement, hébergement) fait notre force. Mais nous entretenons aussi des liens étroits avec nos partenaires du champ de l’urgence sociale et de l’hébergement d’urgence, ainsi qu’avec tous les dispositifs de droit commun vers lesquels nous aiguillons dès que possible nos usAgers. En tant que CSAPA référent, nous intervenons en milieu carcéral. Enfin, nous nous efforçons de renforcer le travail partenarial avec le secteur psychiatrique, mais la marge de progression est énorme. Les logiques d’intervention et d’accompagnement nous semblent parfois difficilement conciliables.

R : Avez-vous des liens formels ou informels avec des médecins libéraux ?

JC : Là aussi, il est important de souligner la nécessaire complémentarité du secteur spécialisé et de la médecine libérale, même si nos liens restent essentiellement informels. Nous ne sommes pas en mesure de suivre la totalité de la population concernée, et les libéraux, quant à eux, ne disposent pas des moyens qui sont les nôtres, notamment en termes d’accompagnement pluridisciplinaire, pour assurer le suivi de certaines situations particulièrement complexes. Nous avons besoin des libéraux (médecins mais aussi pharmaciens), notamment pour prendre le relais en médecine de ville de certains patients. Nous espérons que les libéraux savent de leur côté pouvoir compter sur nous sur les situations qui posent problème. Voilà pour la théorie. En pratique, les cabinets de médecine libérale sont surchargés, la problématique addictive extrêmement complexe, et certaines représentations négatives liées à ce public ont la vie dure. Dans ce contexte, plus que jamais, ces prises en charge peuvent rebuter nos confrères et notre travail d’orientation est très délicat. Dans les faits, notre activité médicale est en constante augmentation, et les relais toujours plus difficiles.

Notes de bas de page

1 Traitement de substitutions aux opiacés (TSO).

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