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Une rupture de génération ?

Olivier QUEROUIL - Paris

Année de publication : 2012

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°46-47 – Compétence en humanité précaire et passage de relais (Décembre 2012)

La psychiatrie est à un tournant. Elle n’est d’ailleurs pas la seule à se trouver dans cet état… Et on entend comme un bruit de fond le « c’était mieux avant »…

Mais de quel avant parle-t-on ? Quelques chiffres pour se souvenir de la transformation de la psychiatrie depuis la guerre, à travers l’évolution du nombre de psychiatres et de leur mode d’exercice. La psychiatrie sort traumatisée de la guerre, qui a vu mourir de faim et de mauvais traitement près de 40 % des malades hospitalisés, et porte un regard critique sur des pratiques qui ont rendu possible un tel désastre. De la fin de la guerre à la fin des années 60, le nombre des psychiatres double, passant de 1000 à 2000, travaillant pratiquement tous en établissements. La découverte de nouveaux médicaments efficaces, le renouveau de la réflexion introduit par le regard porté sur l’institution (mouvement de la psychiatrie institutionnelle), l’arrivée en force d’une psychanalyse créative et dynamique, l’attention nouvelle portée au malade transforment radicalement les conditions du soin et attirent massivement une nouvelle génération de psychiatres : à la fin des années 70, il y a près de 12000 psychiatres, (6 fois plus !), travaillant aux 2/3 à l’hôpital. Et l’Etat se dote d’une orientation politique en la matière : le secteur psychiatrique est une organisation territoriale de la santé, permettant de prendre en charge les patients dans un dispositif intégré, comportant l’hôpital et l’ensemble des dispositifs d’accompagnements dans la vie de la cité. Ces nouveautés permettent des résultats très significatifs, qu’on peut relever notamment dans l’amélioration très importante de l’espérance de vie des malades, et la transformation des prises en charge : la « file active » hospitalière comporte moins de primo-admissions que de réadmissions pour soins, pour une maladie qui devient chronique, et dans bien des cas permet aux patients de vivre une large part de leur vie dans des conditions à peu près « normales ». A partir des années 90, la politique de l’Etat change progressivement. Il y a un regard plus critique sur la psychiatrie : si la politique de secteur est toujours la doctrine officielle, elle est loin d’avoir été mise en œuvre partout, parce qu’elle très exigeante et bouleverse les pratiques routinières. Une large part des structures hospitalières reste très traditionnelle, avec des écarts considérables entre les pratiques et l’offre de soins (voir les travaux de la Mission Nationale d’Appui en Santé Mentale qui fait un état de lieux sans concession). Les préoccupations de financements prennent le dessus, dans un contexte de mutation économique durable. Il faut le dire aussi, l’administration se désintéresse assez largement de la psychiatrie, et les fièvres qui agitent le milieu n’encouragent pas le travail de fond. En parallèle, le monde des psychiatres évolue : une forte remédicalisation des études modifie le regard porté sur la maladie psychiatrique : le regard est plus clivé entre l’approche proprement médicale, et l’approche plus sociale qui est renvoyée au droit commun. L’hôpital de secteur est toujours un peu compliqué, et on observe une désaffection vis-à-vis de la pratique de terrain. La pratique privée a fait une entrée en force, puisque sur les 14 000 psychiatres actuels, plus de la moitié exerce dans le privé, ce qui est en soi un signe très fort d’une transformation majeure de l’éthique professionnelle. Enfin, l’évolution démographique : le nombre des psychiatres en activité peut être estimé sans grande difficulté par les effets du numérus clausus : il va se situer autour de 10 000 vers 2020, ce qui est un certes un repli, mais ce n’est pas non plus le désastre. La question du nombre ne peut être séparée de la finalité : 10 000 psychiatres pourquoi pas, mais pour qui et pour quoi faire ? Avec quels moyens, et sur quel programme ? La remontée de la question sécuritaire ces dernières années à partir de quelques faits divers montre que la question est loin d’être tranchée… 1970, c’était il y a 40 ans. La moyenne d’âge des psychiatres n’a cessé d’augmenter, nous vivons un moment très particulier qui est celui de l’arrivée en masse à la retraite d’une génération de médecins et de personnels soignants qui avaient un fond culturel et professionnel en commun. Le départ à la retraite concerne plus de la moitié de la profession sur 10 ans. Quels vont être les effets de ce changement de génération ? C’est difficile à dire mais on peut penser qu’ils seront importants, car ils se situent dans un tout autre contexte socio-économique et que la demande vis-à-vis du service public évolue, tout en restant forte. Une autre génération de soignants arrive. Elle semble revenue en partie d’un certain scientisme. En effet, une génération de médecins formés pendant les années 1990 s’est trouvée en difficulté face aux réalités de la clinique. Cette situation va demander des choix. Si les médecins, pour des raisons de revenus ou de confort, s’orientent plutôt vers la pratique privée, la psychiatrie publique devra redéfinir ses missions, tout comme la Sécurité sociale qui solvabilise les dépenses de soins et prend en charge les pathologies les plus lourdes. C’est de ce passage que Rhizome essaye de rendre compte, non sans craquements et souffrances, mais sans nostalgie. Mais on le voit : le « c’était mieux avant » est pour une large part imaginaire, dans un système en perpétuelle mutation.

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