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Ne pas rajouter la violence à la violence

Jean-Pierre MARTIN - Psychiatre, Réseau Souffrance et Précarité, Esquirol (Saint-Maurice)

Année de publication : 2009

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, PUBLIC PRECAIRE, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°36 – Le Nouveau Management Public est-il néfaste à la santé mentale? (Octobre 2009)

La rue est comme une emprise du malheur pour ceux qui sont marqués par l’abandon dans leur intimité. Et puis il y a ceux qui y font des passages ou des séjours plus ou moins prolongés dans les avatars de la précarité sociale, travailleurs pauvres, immigrés au bout du voyage, exclus du logement… Etre à la rue est parfois un voyage ou un espace inventé par le délire, imaginaire délirant qui côtoie la dépersonnalisation identitaire.

Mais vivre dans la rue est aussi une forme de résistance dans l’extrême, une sorte de souffrance qui s’exprime par la provocation et l’affirmation du groupe comme signe de ce pacte narcissique avec la marginalité. S’y retrouvent donc des précaires désaffiliés, des exclus, des errants de la folie et des résistants.

Cet être à la rue est un avatar du social qui fait désordre public, coup de pied dans les normes, qui exprime une réalité de la société actuelle et sa violence, une inscription qui peut être un point de non retour. La défense sociale est la contrainte, l’humanité et ses projets démocratiques est créer du lien social. C’est sous cet angle que se pose la question de la contrainte, cette violence qui continue d’autres violences inaugurales, qui appelle la violence sacrificielle.

L’histoire a fixé le vagabond, le sans aveu comme une des expressions de la folie, avant d’en faire une maladie sociale. Les lois d’internement sont nées de ce traitement spécifique qui se partage avec la prison. Ce sont les classes opprimées qui sont l’objet du discours sur les classes dangereuses. La rue est un no man’s land entre l’hôpital et la prison.

Cette contrainte d’ordre public s’applique absolument, et aujourd’hui la psychiatrie est appelée malgré ou à cause de sa modernité médicale et psychologique à en être l’instrument. Aujourd’hui, délirer dans la rue est une des principales causes de ces mesures d’hospitalisation sous contrainte à Paris, que le délire soit structurel, expression des addictions massives ou de refus de la chute humaine. Ceux qui expriment leur résistance dans l’extrême sont particulièrement visés car ils s’opposent en particulier aux interventions policières. Les constats sont accablants sur Paris où une hospitalisation d’office sur trois concerne un SDF ou un précaire quant au logement.

L’équipe psychiatrique d’accès aux soins intervenant dans la rue est alors prise dans cette double identification : « médecin ou policier ? », alors que l’infirmière reste un nursing possible fantasmé, alors que l’assistante sociale reste une prestation d’aide éventuelle. Les figures de l’infirmière et de l’assistante sont la première ligne qui indique un prendre soin dans la sollicitude préservant de la violence contrainte.

La situation d’une femme mutique dans un abribus depuis plusieurs années, visitée par des passages réguliers hebdomadaires de l’équipe psychosociale du Réseau Souffrance et Précarité, prend consistance quand elle parle brièvement de l’absence de ces visites pendant une période de vacances. A partir de cette parole, lors des passages suivants, elle accepte de lâcher quelques mots sur sa fatigue et sa solitude à vivre dans la rue, mais refuse toute structure de soin. Une intervention du médecin n’est pas rejetée, celui-ci ayant été alerté par l’infirmière de la dégradation de son état physique, mais elle reste silencieuse quand celui-ci lui dit qu’il va organiser son accompagnement dans un service d’urgence. Le lendemain, elle n’oppose pas de réelle résistance à monter dans le bus de la BAPSA (police spécialisée vers les SDF à Paris) à la demande de l’équipe. Son passage aux urgences permet d’aborder la dimension mélancolique de son repli et entraîne une hospitalisation à la demande d’un tiers.

La contrainte ici se fait à partir de l’état somatique, ce qui est la médiation la plus fréquente de l’accès à des soins psychiatriques. Elle est une mesure d’urgence négociable, après une longue période du refus des intervenants à la mettre en œuvre pour établir un lien et un consentement. Dans cette situation, la contrainte d’hospitalisation psychiatrique se déclenche à partir d’un lieu de soin somatique selon l’ampleur de la symptomatologie, mais peut également être évitée en négociant le passage dans les lits halte soins santé où peuvent s’élaborer des débuts de prises en charge soignantes.

L’institution du Réseau comme espace de travail du temps à prendre et de la continuité est d’abord une structure de l’accompagnement et de la négociation qui permet d’éviter ou de maîtriser la contrainte : c’est la contrainte et ses limites que l’on cherche à maîtriser et non la personne en errance. Elle est le corps qui redonne de l’aplomb à celui qui dort sur le trottoir.

La violence comme contrainte subie par ceux qui vivent dans l’exclusion est la première contrainte à prendre en compte et ne peut donner lieu à des violences surajoutées de mise à l’abri en force comme réponse aux morts de la rue ou du bois de Vincennes comme cela s’est produit l’hiver dernier. C’est de loin le problème le plus préoccupant dans une période où la violence du management met au premier plan ceux qui se suicident au travail. Le soin psychologique est au minimum un accompagnement, mais pas une solution aux violences du social.

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