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Une souffrance que l’on ne peut pas coter…

Gladys MONDIÈRE - Psychologue clinicienne , EPSM Lille Métropole

Année de publication : 2009

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, Psychologie, SCIENCES HUMAINES, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°34 – Mesurer… les effets de l’évaluation (Mars 2009)

Travailler cette question de l’évaluation ne va pas de soi, pour une psychologue notamment. Serait-ce parce qu’elle imprègne trop notre quotidien? Serait-ce parce qu’elle nous renvoie à une position infantile : les notes, l’école ? Réminiscence d’appréciation, à côté de la note, le commentaire : travail sérieux, insuffisant… Ainsi, de la note à la valeur, il n’y a qu’un pas ! L’arrivée de l’évaluation en psychiatrie est immédiatement vilipendée par presque l’ensemble de la profession arguant que l’évaluation se doit d’être qualitative (comment évaluer le travail psychique, la souffrance psychique) et non seulement quantitative. Si seulement l’argument ne valait pas aussi pour la MCO1.

Plusieurs types de postures ont été adoptées : l’opposition, n’en pas vouloir ni en entendre parler, au nom de la spécificité psychiatrique ; très peu se sont enthousiasmés d’emblée pour les PMSI, RIM-P, VAP, T2A2… Certains ont choisi « pour voir », se renseigner, savoir de quoi il retourne, comprendre.

La valorisation de l’activité en MCO s’effectue depuis 1991 à l’aide du PMSI, la tarification à l’activité en 2003 ; il s’agit ainsi de rétablir les budgets des hôpitaux en fonction de l’activité médicale, sorte de « travailler plus pour gagner plus » ! Pour la psychiatrie, l’obligation de mise en place du RIM-P pour tous les établissements ayant une activité psychiatrique est légiférée en 2007. Finalement, même « pour voir », nous devenons des obligés.

Ainsi, dans le cadre du RIM-P, il s’agit pour chaque acte effectué auprès d’un usager de la psychiatrie de coder le trouble présenté selon la Classification Internationale des Maladies (CIM 10) la raison pour laquelle le professionnel de santé intervient.

Considérées comme a-théoriques, les classifications ne renvoient cependant pas aux mêmes champs conceptuels que le triptyque freudien (Névrose, Psychose, Perversion). Aussi, coder selon une classification aussi internationale soit-elle, c’est s’inscrire dans un champ théorique. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, qui publie la CIM 10, la santé se définit comme « un état complet de bien-être physique, mental et social ». Comment ne jamais être triste, anxieux, endeuillé ? Vouloir rencontrer un professionnel des mots, de la relation et être accompagné dans cette souffrance nous fait rentrer dans des cases inattendues de classification internationale.

Par ailleurs, pour les professionnels, les écueils de tels relevés sont majeurs : la comparaison (de différents services, établissements, professionnels), la volonté de rentabilité (à tel diagnostic est associé un nombre d’actes professionnels), l’exclusion du champ de la santé d’une souffrance que l’on ne peut coter (accompagnement psychologique dans le cadre d’un deuil). J’ai appris récemment que tel chef de service commençait sa réunion mensuelle avec les psychologues de son service en leur livrant leur RIM-P du mois, laissant à penser que celui qui fait le plus de consultations travaille, comment dire, plus…mieux ?

Si vraisemblablement les troubles somatiques peuvent grosso modo bien répondre à ces classifications et à ces codages, qu’en est-il des troubles psychiques ? S’agit-il de recenser ce qui est du ressort strict de la psychiatrie et d’éliminer toute souffrance psychique de la prise en charge du système de santé ? Ces évaluations posent de réelles questions éthiques. Pour les suivis psychologiques, par exemple, qu’en est-il du critère diagnostic ? Lorsqu’un patient consulte pour une séparation, une perte de confiance en soi à l’occasion d’une impossible reprise d’emploi, que sa souffrance s’exprime par une tristesse, une anxiété dans certains actes de la vie quotidienne, voire une prise d’alcool, mais qu’elle s’intrique à son histoire, à des évènements de vie antérieurs, à sa manière de fonctionner psychiquement, de se défendre, comment coder ? Ainsi qu’il est précisé dans les manuels, il s’agit de coder la raison qui mobilise les soins : du symptôme (R…), au diagnostic (F…), aux difficultés environnementales (Z…). Comment ne pas comprendre qu’à terme ce qui n’est pas du ressort strict de la psychiatrie (F…) ne pourra plus être pris en charge par le système de santé ? Ainsi, au moment de coder doit-on penser financement santé, adéquation du codage ou crainte de la stigmatisation ? Aux confins de ces questions, le professionnel se trouve dans une impasse : s’il n’est pas codé, l’entretien n’existe pas en terme de soin apporté au patient ! Quand l’évaluation prend place de système de valeurs théoriques, professionnelles…

L’accréditation n’obtint guère plus d’agrément en psychiatrie. La qualité du soin apparaît intrinsèquement liée à la satisfaction de l’usager. Sans abuser du concept du manque en psychanalyse, qu’en est-il de ce qui peut advenir du sujet, de son désir, de ce avec quoi nous travaillons immanquablement, si la réponse apportée empêche l’émergence du manque ? De fait, nous devons en convenir, en psychiatrie, la satisfaction de l’usager, essentielle évidemment, ne peut se transformer en norme. A l’aube d’une société sans risque, l’accréditation se présente comme un outil de choix : établir des protocoles, les référencer comme normes de soins, sous-entend que ne pas les respecter c’est potentiellement courir un risque. D’un autre côté, le dispositif d’accréditation entretient l’illusion d’un soin idéal, sans risque.

La certification apparaît comme une procédure qui sert à faire valider la conformité d’un système qualité à des normes (iso…). Ce n’est vraisemblablement pas un hasard si c’est la question de la demande, concept éminemment complexe en psychiatrie, qui a été retenue comme critère de certification ! Participer aux réflexions concernant l’accueil, la prise en charge des nouvelles demandes en CMP apparaît comme une gageure pour l’amélioration de la réponse donnée aux usagers. Les services de psychiatrie savent qu’ils pêchent parfois dans cette réponse à l’urgence difficile à évaluer. Le délai de réponse devient une mesure : répondre vite c’est répondre mieux ! Au-delà de l’urgence qui se doit d’être prise en charge dans la journée, comment évaluer la réponse plus tardive qui prend en compte le choix de l’usager à rencontrer tel professionnel, en dehors de ses heures de travail, quitte à surseoir au rendez-vous et qu’ainsi il serait plus satisfait, en quelque sorte ? Évidemment, participer à ces travaux de réflexions permet aux équipes de travailler institutionnellement sur leurs pratiques pour une meilleure prise en charge. A contrario, considérer ces évaluations comme unité de valeur annihile le sujet dans sa substance, son désir. De fait, aujourd’hui, il apparaît indispensable d’aller voir pour savoir, d’être en état de vigilance afin que l’évaluation reste ce qu’elle est : une mesure à un moment donné, ni plus ni moins.

Notes de bas de page

1 MCO : Médecine Chirurgie Obstétrique

2 PMSI : Programme Médicalisé du Système d’Information; RIMP-P : Recueil d’Information Médicalisée – Psychiatrie; VAP : Valorisation de l’Activité Psychiatrique; T2A : Tarification à l’activité

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