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Une aire d’accueil pour parents en exil

Valérie COLIN - Psychologue clinicienne ORSPERE-ONSMP
Nicolas MÉRYGOLD - Psychiatre CH le Vinatier, Bron

Année de publication : 2008

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, Psychologie, PUBLIC MIGRANT, SCIENCES HUMAINES, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°32 – Lieux d’asile en milieu hostile (Octobre 2008)

A l’origine, un groupe de parents d’un quartier populaire se rassemble pour créer un réseau d’entraide qui rassemble des familles sans papier autour d’un centre social. A l’occasion des accueils des familles en attente de statut par les bénévoles du Réseau Education Sans Frontière du Rhône, de nombreux parents expriment leur souffrance et celles de leurs enfants, pour certains en bas âge et pour d’autres scolarisés. Les bénévoles font état de leurs limites à accompagner ces fragilités psychoaffectives articulées à des problématiques éducatives en situation de précarité extrême et nous interpellent pour les soutenir et offrir aux familles un espace de paroles approprié, tel un groupe de parole.

Un cadre d’écoute sécurisant dans un contexte d’insécurité permanente

D’emblée, un certain nombre de difficultés sont apparues dans la mise en place ce dispositif.

La première consiste en un questionnement sur sa « légalité » : s’il est interdit d’apporter un soutien et une aide au séjour irrégulier, rien n’empêche de procurer soin et assistance aux personnes qui le nécessitent, quel que soit leur statut administratif.

Puis s’est imposée la nécessité de construire un cadre souple, déformable, tolérant, au regard des situations de précarité et de menaces réelles qui viennent gravement perturber le sentiment de sécurité des parents déjà fragilisé du fait de l’exil. Il s’agit bien là d’une condition nécessaire à l’accès aux soins : en deçà, rien ne se passe.

Pour les femmes, participantes au groupe de parole, l’exil s’enchevêtre avec des problématiques de ruptures familiales voulues ou subies. Dans le cadre du travail groupal1, ces mères partagent leurs doutes et la culpabilité pour certaines d’avoir « laissé des enfants au pays ». Pour d’autres, la culpabilité se situe dans le rapport aux enfants nés en France et sur les conséquences d’un choix personnel imposé du coup à la famille, celui de les faire vivre là, coupés de leurs racines.

Au delà de la culpabilité, c’est de honte qu’il s’agit. Honte qui entoure la raison du départ, sur des faits et des sentiments qui ne peuvent pas se dire comme le viol ou le sentiment de menace permanent.

En même temps que les enfants interrogent leurs origines et les raisons de l’exil, le souci pour les parents s’exprime aussi dans ce qui est transmis aux enfants en termes de traumatismes et d’héritage culturel. Comment composer un métissage culturel sur des non dits, voire sur des interdits de penser ?

Le risque est donc qu’au travers de la précarité de son statut (mis en danger par l’exil, l’attente et l’incertitude concernant les possibilités d’affiliation au pays d’accueil), le parent se trouve dans l’impossibilité d’assumer sa fonction parentale. A ce fantasme de « toute impuissance » du parent, peut répondre dans la réalité ce que l’on peut observer cliniquement chez l’enfant, c’est-à-dire sa mise en position parentale, et chez l’aidant, un fantasme d’adoption.

Les ruptures de la filiation agies dans l’exil se rejouent dans l’affiliation au pays d’accueil auprès d’autres groupes. Au sentiment d’abandon présent dans les familles répond le vœu d’adoption des bénévoles.

Nous sommes dans un contexte où la réalité administrative surajoutée au traumatisme de l’exil rend les possibilités d’affiliation (c’est-à-dire la reconnaissance d’un statut, d’une place, par une institution) incertaines, voire fantasmatiquement impossibles (désespoir).

Comment rester soignant dans un contexte d’inhospitalité ?

Un questionnement essentiel porte sur la légitimité à proposer un dispositif clinique hors du cadre soignant habituel. Ce dispositif fait partie de la prise en compte d’une clinique psychosociale qui se déploie hors les murs de l’institution psychiatrique et qui consiste à reconnaître une souffrance psychique qui n’est pas non plus l’équivalent de la maladie mentale. Le psychiatre est alors convoqué là comme expert qui garantit un cadre de pratique clinique où la parole pour le soin est protégée. A cette condition, la parole peut se déployer dans ses différents statuts, non plus uniquement comme un moyen de survie en situation de détresse et de toute-impuissance.

Face aux défaillances institutionnelles, impliquant une sur-précarisation du statut et de l’affiliation, l’intervention soignante prend une dimension asilaire. Au-delà de l’effet clinique protecteur du groupe, c’est bien sur une fonction institutionnelle que la demande des bénévoles et des familles porte. Il s’agit ainsi de valoriser et soutenir à la fois la fonction parentale et le statut de parent.

La fonction asilaire de la psychiatrie publique retrouve sa noblesse dans sa capacité à créer, avec d’autres, un espace où la parole n’est pas soumise à l’exigence de la preuve en vue d’obtenir quelque chose (un statut ou une aide matérielle), mais où elle n’est pas non plus déconnectée de tout contexte politique. Ce dispositif de groupe est ainsi pensé comme une aire d’accueil du sujet, espace où la suspicion est suspendue.

Notes de bas de page

1 Cf. le rapport de recherche-action en cours « Parentalité en asile » par l’ORSPERE, à paraître fin 2008, qui développe des éléments cliniques et théoriques à partir de ce groupe de parole pour parents étrangers en attente de régularisation.

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