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Controverse sur une catégorie sensible, le chômage

Elisabeth MAUREL - Chercheur au PACTE, IEP Grenoble

Année de publication : 2007

Type de ressources : Rhizome - Thématique : PUBLIC PRECAIRE, SCIENCES HUMAINES, Sciences politiques

Télécharger l'article en PDFRhizome n°26 – Ordonner le réel sans stigmatiser (Mars 2007)

Phénomène hautement médiatisé et politisé, le chômage fait l’objet de manipulations statistiques qui conduisent à rendre invisible un nombre croissant de personnes en recherche d’emploi. Cet effacement statistique prélude à l’effacement social. Il ouvre la voie à une perte de réalité sociale individuelle et collective, qui constitue, plus que les facteurs matériels, le cœur même des processus d’exclusion. Comment « effacer » les chômeurs, les rendre invisibles ?

Le démontage des constructions statistiques peut aider à démasquer les méthodes utilisées. Nous pouvons en donner deux exemples simples, en nous appuyant sur l’analyse fournie par le collectif « autres chiffres du chômage » qui rassemble des associations de chômeurs et des organisations syndicales de l’INSEE et de l’ANPE1.

Le premier exemple concerne l’écart entre le taux de chômage officiel et la réalité de la demande d’emploi.

La mesure officielle présentée repose sur le nombre de demandeurs d’emploi inscrits à l’ANPE en fin de mois en « catégorie 1 »2. Ils représentent en septembre 2006 un total de 2 172 000 demandeurs d’emploi, chiffre en baisse de 250 000 entre fin 2005 et fin 2006.

Mais les demandeurs d’emploi sont inscrits à l’ANPE dans 8 catégories différentes, qui représentent au total, à la même époque, 4 450 000 personnes, soit plus du double.

Ainsi, 2 276 000 demandeurs d’emploi sont « exclus » du calcul du taux de chômage. Qui sont-ils ?

Il s’agit d’abord des demandeurs en recherche d’emploi à temps partiel (catégorie 2) ou à durée déterminée (catégorie 3). Ils sont estimés à 871 000. Pour une part, leur classement dans cette catégorie résulte d’une décision de l’ANPE en fonction de son interprétation de la demande, plus que d’une aspiration des personnes elles-mêmes.

Sont ainsi effacés les demandeurs les plus exposés au travail précaire et les moins dotés pour l’accès à l’emploi. Parmi eux, une majorité de femmes, qui constituent 80% des travailleurs à temps partiel.

Il s’agit ensuite des demandeurs d’emploi ayant exercé une activité réduite de plus de 78h au cours du mois, qu’ils soient en recherche d’emploi en CDI (catégorie 6), à temps partiel (catégorie 7) ou en CDD (catégorie 8). Sont ici rendus invisibles les quelques 450 000 chômeurs qui, en nombre croissant, sont conduits par la faiblesse ou la fin de leur indemnité chômage à rechercher et exercer des petits boulots provisoires en attente de l’emploi auquel ils aspirent. Ce sont à nouveau, pour une part, les chômeurs qui connaissent des situations difficiles, en raison de ressources insuffisantes.

Il s’agit enfin des personnes en recherche d’emploi mais non immédiatement disponibles, soit en raison d’une situation de maladie ou de stage (catégorie 4), soit des personnes pourvues d’un emploi mais désirant  ou devant en changer (catégorie 5). C’est ainsi que sont inscrits en catégorie 5 tous les bénéficiaires d’un contrat aidé relevant des politiques publiques de l’emploi, contrats qui sont tous à durée limitée et doivent en théorie se conclure par une entrée sur le marché du travail dit « ordinaire ». Or ces demandeurs, de même que les stagiaires dont le statut est aussi obligatoirement limité dans le temps, non seulement ne sont pas comptés dans le taux officiel du chômage, mais représentent un degré supplémentaire d’invisibilisation, puisque ces catégories 4 et 5, représentant 320 000 personnes, ne sont pas publiées dans le communiqué mensuel du ministère de l’emploi.

Mais il y existe encore un échelon de plus dans l’effacement : les demandeurs d’emploi « dispensés de recherche d’emploi », qui sont hors catégories. Ils sont ainsi plus de 400 000, travailleurs âgés de plus de 57 ans, voire de 55 ans dans certains cas.

Effacés également des statistiques officielles les quelques 200 000 demandeurs d’emploi des départements d’outre-mer.

Le deuxième exemple concerne l’écart entre la baisse du taux de chômage enregistrée par les statistiques et la réalité du retour à l’emploi. Sortir du chômage administratif, autrement dit sortir des inscrits à l’ANPE, signifie de moins en moins retrouver un emploi.

Deux explications majeures rendent compte de cette situation.

La première tient à la baisse continuelle du nombre de chômeurs indemnisés en raison du durcissement et du raccourcissement de l’indemnisation chômage. Moins d’un demandeur d’emploi sur deux est indemnisé aujourd’hui. Une part croissante de ces chômeurs non indemnisés ne s’inscrit plus à l’ANPE. Ils sont devenus totalement invisibles.

La deuxième explication tient aux nouvelles procédures mises en place dans le cadre du  plan de cohésion sociale en 2005. Deux mesures complémentaires ont eu pour effet d’augmenter la « disparition » des chômeurs : l’instauration d’un suivi rapproché des demandeurs d’emploi instaurant le principe d’un entretien mensuel, et le renforcement des sanctions pour non présentation au contrôle.

Le suivi mensuel, remplaçant un suivi semestriel, est présenté comme une personnalisation de l’accompagnement à la recherche d’emploi et une aide aux demandeurs les plus en difficulté. La multiplication des convocations augmente les risques de non présentation par oubli, erreur ou découragement. Ce risque est encore accru par la nouvelle procédure de relance des actualisations en fin de mois qui s’effectue désormais, de manière délibérée, dans des délais trop rapprochés pour être efficaces. Les « non-renouvellements accidentels » ont ainsi augmenté de 30% en 2 ans.

L’introduction de la possibilité de sanctions progressives et graduées (réduction des indemnités, radiations provisoires) a eu pour effet de doubler le nombre de sanctions prononcées à l’encontre des chômeurs entre 2005 et 2006.

Au total, à peine une sortie sur deux de l’ANPE correspondrait à une réelle reprise d’emploi.

Notes de bas de page

1 Cette analyse, et les chiffres cités, ont été présentés dans le numéro 193 de février/mars 2007 de la revue « Partage », dans les articles intitulés : « Chômeurs et chiffres sous pression », p. 70 à 77 et « Les chômages invisibles » p. 78 à 81

2 Catégorie 1 : demandeurs d’emploi à la recherche d’un emploi à temps plein et à durée indéterminée.

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