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Retour au serment d’Hippocrate

Georges Yoram FEDERMANN - citoyen psychiatre du centre ville, co-fondateur du Cercle Menachem Taffel, Porte parole du comité de soutien des Roms de Zamoly

Année de publication : 2006

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Médecine, PUBLIC PRECAIRE, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°22 – La médecine générale à corps et à cris (Mars 2006)

 « Il n’y a pas d’urgence mais des médecins pressés » a-t-on coutume de dire pour décrire l’exercice médical. C’est vérifiable pour l’immense majorité des consultations. Mais comment faire pour accueillir, au cabinet,  en médecin de famille, « en continu », les patients marginalisés, pas toujours solvables, comme les S.D.F. ou les « Sans-papiers », qui ne bénéficient pas nécessairement de la C.M.U ? Il s’agit alors notamment de repérer leur inscription dans un rapport au temps qui leur est propre et vital et qui impose aux médecins de les recevoir sans rendez-vous. Un sacré défi pour les spécialistes et l’occasion d’un retour pédagogique au Serment d’Hippocrate « Je donnerai mes soins gratuits à l’indigent » et à la prière de Maïmonide (12ème siècle) « O Dieu, soutiens la force de mon cœur pour qu’il soit toujours prêt à servir le pauvre et le riche ».

Je considère que le médecin, libéral ou hospitalier, reste encore en France dépositaire d’une mission sociale qui consiste à favoriser l’accès aux filières de soins pour toute personne vivant sur le territoire de sa cité, en continu. Or cet accès peut être entravé par de nombreux obstacles financiers, administratifs, juridiques et socioculturels. Le médecin doit alors lutter contre ce réflexe qui consisterait à oublier sa responsabilité et son devoir d’accueillir, dans son cabinet, certains patients, et de les renvoyer vers les urgences hospitalières ou les praticiens de structures d’assistanat comme Médecins du Monde. Là, en effet, à chaque visite, l’usager doit se heurter à l’inertie institutionnelle et exprimer ses plaintes à nouveau sans pouvoir s’appuyer sur le sentiment rassurant d’avoir en face de lui « une oreille » qui s’est familiarisée avec « son histoire » et son rapport au temps, cyclique (le temps de la nature et de ses révolutions) ou linéaire (le temps des hommes et du caractère irréversible de leur histoire).

Nous sommes confrontés d’emblée, extrêmement brutalement, à une violence symbolique dont la responsabilité nous incombe, à nous les quatre mille médecins libéraux de l’agglomération strasbourgeoise.

Car nous ne voulons pas voir certains visages de la misère et acceptons que des patients (qui souffrent à nos portes et qui pourraient bénéficier de la continuité de nos soins et de notre attention) ne parviennent pas à écrire leur histoire médico-sociale.

En effet, le médecin libéral a admis trop souvent que ces patients ne font plus partie de son champ de compétence, et force est de constater que certaines « catégories » d’usagers dépendent entièrement des associations caritatives ou de l’assistance hospitalière.

Les personnes sans domicile fixe ou en situation irrégulière, surtout lorsque leur état impose des prescriptions, des examens et des traitements réguliers ; les chômeurs qui ne bénéficient plus de la médecine préventive du travail ; de nombreuses mères célibataires ; les personnes au seuil de pauvreté ; les toxicomanes, les travailleurs de force immigrés victimes d’accident du travail dont les conséquences psychiques sont parfois sans commune mesure avec le caractère en apparence anodin du traumatisme en cause sont victimes de cet état de fait.

Tous ces usagers qui vivent à nos portes, dans nos banlieues, sont les principales cibles et victimes des menaces sociales, psychologiques et politiques qui se traduisent par des difficultés d’accès au logement, au travail, aux soins médicaux, aux conseils juridiques et à la régularisation de titre de séjour, dans un « monde » de plus en plus riche ou l’ultra-libéralisme a remplacé le politique et l’éthique médicale.

Or ils ont mal, ils souffrent, souvent isolés. Les somatisations, l’hypochondrie et la consommation abusive de psychotropes en automédication peuvent faire fonction d’affirmation identitaire, de sentiment d’appartenance au groupe des-personnes-consommant-des-psychotropes-et-des-antalgiques-et-engagés-dans-les-rituels-d’achat.

Bien sûr, ces stratégies de lutte et de survie psychologiques sont vouées à l’échec et source d’insatisfaction profonde.

Comment pourrions-nous soutenir, nous médecins libéraux, notre incapacité à reconnaître ces souffrances dues à l’atteinte des « liens sociaux » (précarisation du salariat, menaces sur la sécurité sociale, délocalisations , dégraissages de personnels dans les sociétés anonymes… faisant des bénéfices), sauf à être prisonnier nous-mêmes d’une pathologie liée au rapport au temps qui nous aveuglerait à force de nous pousser à la précipitation (la durée moyenne d’une consultation de généraliste n’excède pas 10 minutes) et à intégrer une sorte de fantasme de toute puissance qui consisterait à contrôler la Douleur, les Emotions, l’Inconfort et même la Mort par la grâce du progrès technique et de la recherche pharmaceutique sans prendre conscience que se serait au prix du renoncement à l’écoute …

Ecoute qui nous conduit à être le dépositaire privilégié des états d’âme, de l’expression de la subjectivité et de la faillibilité du prochain et du lointain dans le cadre de la vie de la Cité.

Le regard de l’autre oblige comme l’évoque Lévinas ?

Mais ce privilège génère en ce qui me concerne beaucoup d’angoisses (je dois en tenir compte pour ne pas blesser mes patients) car en tant que médecin, je suis toujours partagé entre un sentiment d’incapacité devant la perpétuation de la souffrance de mon patient et la tentation de toute puissance qui se traduit par « l’obsession de la santé parfaite ».

Nous acceptons alors de (re)devenir une sorte de compagnon de route sur le chemin de la vie, une sorte de médecin de famille en continu, étant bien conscients que nos efforts doivent se porter sur la prévention puisque environ 60% des déterminants intervenant dans l’amélioration de la santé relèvent de facteurs d’environnement physique, social et psychologique alors que 10% dépendent du système de soins et 30% des facteurs biologiques.

Car nous avons, du moins j’ose l’espérer, acquis au contact de nos patients-enseignants une plus grande sensibilité à différentes formes d’expression de la souffrance humaine.

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