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Défendre l’esprit de la Convention de Genève

Frédérique BOURGEOIS - Géographe, adjointe de direction à Forum réfugiés

Année de publication : 2005

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Demandeurs d'asile, PUBLIC MIGRANT, Réfugiés

Télécharger l'article en PDFRhizome n°21 – Demandeurs d’asile, un engagement clinique et citoyen (Décembre 2005)

La défense du droit d’asile vise la protection des réfugiés. Le texte spécifique qui fonde la qualité de réfugié est la Convention de Genève de 1951 qui reconnaît l’asile comme un droit fondamental de la personne confrontée à des persécutions. Le fait que l’asile soit un droit le distingue de la question de l’immigration qui donne lieu à des politiques décidées et gérées par les Etats en fonction de leurs besoins propres (en main-d’œuvre notamment) et non en fonction des droits pour les personnes. Les notions de migrant et de réfugié ont par conséquent un contenu juridique différent et s’inscrivent dans une réalité socio-économique et politique distincte.

Réfugiés, demandeurs d’asile, déboutés, sans papiers, clandestins… de qui parle-t-on ?

Beaucoup d’entre nous ont une image floue du réfugié que l’on assimile à la fois aux droits de l’Homme, l’aide humanitaire, la persécution, mais aussi la pauvreté ou l’immigration clandestine. De ce fait, il est fréquemment fait des amalgames entre réfugié, demandeur d’asile, débouté, clandestin ou sans-papiers. Or ces termes renvoient à des catégories juridiques distinctes sur lesquelles il convient de s’arrêter afin de poser clairement les données du problème.

Le statut de réfugié est délivré en application de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 sur les réfugiés. Cette convention s’applique à «toute personne qui (…) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays» (article 1.2).Il y a donc un double critère dans la définition du terme «réfugié» : la crainte de persécution fondée sur l’un des motifs cités et l’absence de protection nationale dans le pays d’origine contre cette persécution. Le statut de réfugié constitue ainsi la protection internationale palliant cette carence de protection nationale.

Une autre particularité du statut de réfugié est relative à l’application de l’article 31 de la Convention de Genève sur la non opposabilité au franchissement irrégulier de la frontière : « Les Etats contractants n’appliqueront pas de sanctions pénales, du fait de leur entrée ou de leur séjour irréguliers, aux réfugiés qui, arrivant directement du territoire où leur vie ou leur liberté était menacée au sens prévu par l’article premier, entrent ou se trouvent sur leur territoire sans autorisation, sous la réserve qu’ils se présentent sans délai aux autorités et leur exposent des raisons reconnues valables de leur entrée ou présence irrégulières » (article 31.1). En franchissant une frontière, un réfugié se met à l’abri d’une menace. Il n’a donc pas le même intérêt que celui qui veut franchir une frontière pour d’autres raisons, avec le moins d’obstacles possibles. Si la frontière arrête, elle protége aussi les réfugiés, elle est un élément fondateur et inestimable de la protection.

En outre, les réfugiés, en raison de leur qualité de personnes non protégées et du risque encouru en cas de retour dans leur pays d’origine, doivent être protégés contre un renvoi involontaire dans ce dernier par le respect du principe de non refoulement qui est inscrit dans la Convention de Genève : « Aucun des Etats contractants n’expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques » (article 33.1). Cette particularité constitue une différence majeure entre le réfugié et le migrant économique qui peut continuer de se prévaloir de la protection de son pays d’origine et éventuellement y retourner, même si les conditions économiques sont précaires.

En France, comme partout ailleurs, le réfugié est celui qu’il faut protéger, qu’il faut accueillir comme un résident étranger avec l’ensemble des droits et des devoirs afférant à ce statut. La législation française accorde de droit au réfugié la carte de résident de 10 ans, ce qui lui confère aussitôt la totalité des droits économiques et sociaux des résidents étrangers en France (droit au travail, à la formation, aux prestations familiales, au logement, etc…).

Le demandeur d’asile est une personne qui fuit son pays pour se réfugier dans un autre Etat et qui doit soumettre une demande d’asile afin d’obtenir le droit d’être reconnue comme réfugié. Pour autant, les demandeurs d’asile ne sont pas des clandestins ou des sans-papiers : ce sont des personnes en situation régulière sur le territoire, car elles ont entamé une procédure d’admission au statut de réfugié. S’ils vivent dans nos villes dans un état de dénuement extrême, c’est parce qu’ils ont fui des persécutions et non la misère économique. S’ils sont pauvres et sans abri, c’est secondairement, parce que dans leur fuite, ils ont dû abandonner leurs biens, leurs droits, leurs réseaux sociaux et familiaux, et les activités qui les faisaient vivre. A proprement parler, le réfugié n’est pas pauvre, il est dans le dénuement du point de vue de ses droits humains élémentaires. Le réfugié n’est pas non plus un SDF. S’il est vrai que la cohabitation des demandeurs d’asile et des SDF au sein des structures d’hébergement d’urgence favorise l’amalgame entre ces différentes catégories de publics, on ne peut pas regrouper autour d’une même thématique, celle de l’urgence sociale, des catégories de population et de problèmes qui relèvent de solutions différentes. Il convient de distinguer la précarité du SDF et la protection temporaire du demandeur d’asile.

Le demandeur d’asile est certes dans une situation précaire : il revendique un statut mais nul ne peut garantir a priori qu’il y accédera. Durant le temps de sa procédure, il est autorisé à séjourner en France et bénéficie de dispositifs destinés à l’aider à vivre, mais pas à s’insérer socialement et professionnellement. Les demandeurs d’asile constituent ainsi une population en attente, qui a de petits droits et dont une minorité accédera au statut de réfugié.

Dans le cas où la demande est refusée, c’est-à-dire dans plus de 80% des cas, il se retrouve dans la situation de débouté du droit d’asile. La loi prévoit que les déboutés du droit d’asile rentrent dans leur pays d’origine une fois les recours épuisés. En réalité, cette solution n’est souvent pas possible, soit parce que le pays d’origine se refuse à les reconnaître et à les accueillir, soit parce qu’ils redoutent le retour, souvent à juste titre (persécutions non reconnues, crainte des représailles etc.), soit parce que la présence d’enfants rend l’éloignement impossible, soit parce qu’il n’y a pas de liaison aérienne directe entre la France et le pays concerné. Donc, la plupart reste et la situation de non-droit peut durer des années pour certains. Les préfets régularisent « au fil de l’eau » des étrangers qui se trouvent dans certaines situations : dix ans de présence prouvée en France, lien familial ou social sur le territoire, maladie grave et incurable ne pouvant être soignée dans le pays d’origine. Selon le ministère de l’Intérieur, 23 000 étrangers en situation irrégulière ont ainsi été régularisés en 2004, sans grande publicité1. Mais il faut souligner ce qu’une telle situation a d’arbitraire et combien elle est usante et éprouvante pour les concernés. Du côté des autorités françaises, elle comporte, il faut bien le dire, une certaine dose d’hypocrisie, au sens où elles entrouvrent ainsi subrepticement le robinet de l’immigration économique, fermé depuis 1974.

La politique migratoire française : l’amalgame entre le dossier de l’asile et celui de l’immigration

En effet, depuis 1974, les frontières sont fermées à la migration de travail, alors même que depuis cette date la pression migratoire s’est énormément accentuée et ceci pour plusieurs raisons :

–          Population mondiale plus nombreuse, déséquilibre démographique entre pays industrialisés et pays en développement

–          Déséquilibre économique entre pays industrialisés et pays en développement

–          Accès facilité à l’information

–          Réduction du coût des transports

–          Liberté de circulation dans les pays d’Europe de l’Est

–          Détérioration de l’environnement

–          Conflits internes

Or la grande majorité de cette pression migratoire s’est exercée par le canal de l’asile, seule possibilité (avec le regroupement familial) d’accéder et de séjourner légalement sur le territoire français. Le contrôle de l’immigration, en réduisant les canaux d’accès, a ainsi donné à la demande d’asile une impulsion considérable. Dans le même temps, cette situation a conduit les gouvernements successifs, suivant en cela certaines tendances de l’opinion publique, à durcir les conditions d’entrée sur le territoire et à focaliser l’action sur la lutte contre l’immigration clandestine.

Or une politique restrictive et dissuasive peut nuire aux réfugiés nécessitant une protection. Le risque est en effet de conforter le sentiment, du côté des pouvoirs publics en particulier, que tous les demandeurs d’asile sont de faux réfugiés et que le canal de l’asile est détourné de sa fonction et utilisé comme un simple chemin d’accès de l’immigration.

L’amalgame entre le dossier de l’asile et celui de l’immigration est une dérive et une simplification qui s’opère aux dépens des intérêts des deux catégories. Il entretient une dangereuse confusion et concourre à la banalisation de la question du réfugié et de sa protection, voire à son rejet. L’une des conséquences de cet amalgame est de produire des politiques d’asile de plus en plus restrictives, de mettre en place des mesures dissuasives sur le plan réglementaire, fatales à certains réfugiés parfaitement légitimes.

Du côté de l’opinion publique, la cause est brouillée et le message rendu illisible par l’amalgame pratiquée entre la fuite devant la misère et la fuite devant la persécution politiquement et militairement organisée, entre asile politique et immigration économique. Une clarification du contexte et des enjeux actuels s’impose donc, pour que le droit d’asile, principe républicain inviolable dont la France s’est honorée tout particulièrement au long de son histoire, ne soit pas battu en brèche au moment même où sa nécessité se fait plus pressante.

Par conséquent, il ne faut pas enterrer le droit d’asile, il faut au contraire le défendre, au bénéficie des réfugiés menacés. D’ailleurs un sondage récent2 prouve que les Français sont favorables à la protection des réfugiés et que 80% des personnes interrogées sont attachées au droit d’asile. Parallèlement, il faut que les politiques aient le courage de mener une véritable politique de l’immigration. En effet, il ne peut pas y avoir d’amélioration dans les dysfonctionnements actuels du système tant qu’une alternative ne sera pas ouverte aux personnes qui se situent clairement hors du champ d’application de la Convention de Genève.

La Convention de Genève, l’instrument garantissant la protection des réfugiés

Depuis sa création, en 1951, la Convention de Genève a aidé plus de 50 millions d’individus à travers le monde à recommencer leur vie. Elle confère aux réfugiés des droits fondamentaux, elle reconnaît la nécessité d’une solidarité internationale basée sur le partage des responsabilités. Comme l’expliquent des représentants du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR), « La reconnaissance par la communauté des Etats d’un statut international du réfugié est un phénomène relativement récent, et la définition du réfugié en termes juridiques correspond aux efforts de structuration de la communauté internationale dans le cadre d’institutions représentatives » (Von Arnim R., Tézier P., 1989)

Etablie après la seconde guerre mondiale dans un contexte particulier, celui de la guerre froide, la Convention de Genève a largement été utilisée, dans les années 1950, pour encourager l’immigration des dissidents communistes. Dans les années 1970, la Convention de Genève est appliquée sans hésitation aucune auprès, d’une part, des exilés latino-américains (cf. la figure du militant politique fuyant le coup d’Etat au Chili en 1973) et, d’autre part, des réfugiés du sud-est asiatique, victimes du totalitarisme communiste. Pour ces réfugiés, victimes d’une idéologie ou militants d’une cause, la demande de protection apparaissait alors comme parfaitement légitime. Les années 1980 marquent un changement radical dans la manière de percevoir la question des réfugiés. La diversification des origines des réfugiés et la tiers-mondisation de la demande d’asile brouillent l’image du réfugié. Quant à la fermeture des frontières à l’immigration, elle créée une notion nouvelle, bien qu’incorrecte au regard de la Convention de Genève, celle de « réfugié économique ». De fait, les demandeurs d’asile sont alors perçus comme de simples candidats à l’immigration. Les années 1990 ont paradoxalement modifié cette image mais de façon très ponctuelle : les Rwandais victimes du génocide de 1994 et les Kosovars fuyant le régime de Milosevic en 1999 réactivent la figure du réfugié, victime de persécutions. Cependant, cette figure du réfugié fuyant ses bourreaux et se lançant sur les routes de l’exil a été vite oubliée et rapidement remplacée par celle, très largement médiatisée, des Africains « clandestins »3 tentant de passer les barbelés des enclaves de Ceuta et Melilla au Maroc.

Ces évolutions conduisent certains à remettre en cause la Convention de Genève, ne la trouvant plus adaptée aux conditions actuelles. Or, cet instrument international reste globalement efficace, même si des questions se posent quant à la manière dont elle est appliquée dans certains pays. On peut également s’interroger sur sa pertinence pour les conflits actuels, c’est-à-dire des conflits à grande échelle : en effet, la seule prise en compte individuelle des craintes de persécution, propre à la Convention de Genève, correspond de moins en moins aux conflits d’aujourd’hui.

Cependant, dans la situation actuelle, on ne peut pas trouver un accord international qui maintienne un niveau de protection équivalent et a fortiori qui étende le niveau de protection à d’autres motifs. Le meilleur exemple est celui de la directive européenne sur les procédures d’asile qui a conduit à un abaissement du niveau de protection. Cette situation a alarmé le HCR qui voit dans cette directive une volonté des Etats membres de niveler les normes par le bas et de s’efforcer de décourager ou de refuser la protection à un nombre maximal de personnes. Selon les termes du haut commissaire, elle risque « d’affaiblir le système international de protection des réfugiés »4. La politique européenne s’inscrit ainsi dans une tendance générale des pays industrialisés à restreindre l’accueil des demandeurs d’asile. Elle essaie, d’un côté, d’harmoniser les dispositifs nationaux de protection des réfugiés et, de l’autre, renforce les contrôles et durcit les conditions d’accès aux frontières de l’Europe, mettant de côté les spécificités de l’exil liées à des risques de persécution.

Alors que l’on compte aujourd’hui 47 conflits déclarés sur la planète qui menacent les populations civiles de ces régions, sans compter les foyers de tension et le climat d’insécurité qui règne dans certaines parties du monde, il est important de continuer à protéger les réfugiés et de réaffirmer la spécificité de l’asile qui demeure un droit et une obligation internationale.

 

Repères statistiques en France (Source : OFPRA, 2004)

 

Année                                          1990                     1995                2000                2004

 

Demandes d’asiles                      54 800                  20 400             39 000             50 547

 

Taux de reconnaissance             15,4%                   15,6%             17,1%             16,6%

du statut de réfugié

 

Depuis quinze ans, le flux d’asile en France oscille entre 20 et 60 000, un chiffre dérisoire au regard de la problématique mondiale.

En 2004, 11,5 millions de réfugiés et demandeurs d’asile ont été comptabilisés par le HCR.

L’évolution du taux d’accès au statut de réfugié est relativement stable depuis quinze ans. Parmi les Etats européens, la France détient l’un des plus fort taux de reconnaissance au titre de la Convention de Genève.

L’origine principale des demandeurs d’asile arrivant en France : Turquie, Chine, Algérie, République Démocratique du Congo.

L’origine principale des réfugiés statutaires reconnus par la France : Bosnie, Rwanda, Russie (principalement des Tchétchènes).

En 2004, on comptait 109 852 réfugiés statutaires inscrits sur les registres de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et apatrides).

Notes de bas de page

1 Chiffre cité par La Croix, 7 février 2005.

2 Sondage réalisé en juin 2004 par BVA pour Forum réfugiés et le quotidien Libération.

3 Nous mettons des guillemets car, parmi ces exilés, un certain nombre était des candidats à l’asile, certains ayant même des papiers officiels du HCR.

4 « Ruud Lubbers inquiet des projets de l’Union européenne sur le droit d’asile », Communiqué de presse du HCR, 29 mars 2004.

Bibliographie

Bourgeois F., Ebermeyer S., Sevin M., « L’hébergement des demandeurs d’asile à Lyon : pratiques locales et devenir des demandeurs », Revue française des affaires sociales, n°4, octobre-décembre 2004, pp. 205-222.

Bourgeois F., Bonerandi E., Richard X., « Cartographier la demande d’asile en France. Tendances nationales, représentations départementales et réalités locales », Revue Européenne des Migrations Internationales, n°2, vol. 20, 2004, pp. 127-152.

Bourgeois F., Ebermeyer S., Sevin M., Demandeurs d’asile, réfugiés statutaires, déboutés dans les dispositifs d’accueil : étude exploratoire dans le département du Rhône, Etude Forum réfugiés et Economie & Humanisme pour le Ministère des Affaires Sociales (DREES), janvier 2004.

Von Arnim R., Tézier P, Immigration, asile et solidarité internationale, Economie & Humanisme, 1989, n°310, p.19.

L’asile en France et en Europe. Etat des lieux 2005, 5ème rapport annuel de Forum réfugiés, Lyon, juillet 2005, 190 p.

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