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Aux Etats-Unis, un modèle de santé mentale sans accompagnement

Lewis KIRSHNER - Psychanalyste, Professeur associé de psychiatrie, Harvard Medical School (USA)
Virginie PELLET-NICAISE - Infirmière. A effectué un stage en psychiatrie aux USA. Actuellement étudiante en psychologie clinique en France

Année de publication : 2005

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°20 – Pratiques d’accompagnement (Septembre 2005)

Dans les années 60, l’ébranlement de la société américaine par le mouvement d’affranchissement des  minorités et la résistance à la guerre au Vietnam n’a pas été sans effet sur les institutions psychiatriques. D’abord, il y a eu une redéfinition du rôle du psychiatre et de son autorité. Là où il régnait auparavant de façon plus ou moins suprême dans les asiles, il s’est trouvé assujetti aux commissions des citoyens qui avaient pour but une amélioration des conditions de vie et une reconnaissance des droits des patients. Ensuite, le mouvement de la psychiatrie communautaire,  financé par des décrets et des programmes fédéraux, a permis l’ouverture des cliniques et mis en place des équipes dans les quartiers, les  écoles, et les  hôpitaux. Les patients bénéficièrent d’un statut social nouveau,  marqué par leur inclusion dans une société se voulant plus ouverte vers les  individus et les groupes.

Dans les années 90, les praticiens de la santé mentale ont vu le système communautaire s’effriter peu a peu, face à un changement de cap dans la politique américaine. Le concept de psychiatrie publique, orienté vers les groupes et les familles et visant les objectifs sociaux, cédait la place au modèle d’assurance maladie privée, financé de façon individuelle. Les multiples catégories de « clients » traités dans les centres de santé mentale publics sont obligées maintenant de chercher de l’aide professionnelle dans les modalités disponibles sous le système d’assurance dont ils disposent.

Pourquoi le modèle public et social a-t-il été remplacé par une approche « médicale » et individuelle ?

Plusieurs forces ont contribué à cette évolution. Il y a eu un excès d’idéologie et de déni dans les mouvements d’anti-psychiatrie qui ont contesté l’autorité psychiatrique. Les patients souffraient des conditions de soins de la psychiatrie traditionnelle et ils réclamaient un traitement médical. Cette revendication a été supportée par la publicité des grandes sociétés pharmaceutiques qui vantaient les avancées dans la psychopharmacologie des maladies mentales, bien au-delà des résultats de la recherche. Les forces économiques ont aussi joué un rôle important, avec la politique contre le « big government » pendant et après l’ère Reagan. Comme dans d’autres domaines de l’économie, de grandes sociétés spécialisées dans la santé mentale commencèrent rapidement à capter le marché en psychiatrie. Ces sociétés fonctionnent comme filtres entre la population en besoin de traitement et les cliniciens obligés d’obtenir d’un agent administratif, dans la majorité des cas, l’autorisation de traiter des patients. Le système fonctionne alors comme une véritable barrière à traitement. De plus, une proportion importante de citoyens (40% de la population américaine) reste sans aucune assurance, même publique, pour financer entre autre des soins psychiatriques.

Derrière tous ces éléments se dévoile l’idéologie qui donne à l’individu toute la responsabilité de sa situation dans la vie. C’est par son propre travail et par l’assomption de l’obligation de gérer sa santé que le citoyen peut profiter du système « néo-libéral » aux E.U. Cette croyance typiquement américaine dans la possibilité pour chacun de réussir dans la vie et de profiter des bénéfices générés par la société a été notée par des sociologues depuis longtemps. Le modèle médical de santé mentale s’accorde très bien avec cette idéologie. Peut-être, aussi, cette idéologie explique t-elle pourquoi les Américains acceptent qu’une proportion si grande de leurs concitoyens n’ait pas d’assurance santé, surtout dans le domaine de la santé mentale. D’ailleurs, à l’occasion du tout récent ouragan à la Nouvelle-Orléans, on a vu combien la réponse « officielle » a laissé aux individus la responsabilité de trouver leurs propres solutions au  désastre.

Nous pensons que l’idéologie « d’individualisme » fait partie de l’idéal du moi culturel américain et influence le comportement des citoyens qui s’accrochent à cette image d’autosuffisance et d’indépendance.

Il est vrai que, dans certains milieux, un phénomène pareil à l’accompagnement s’est développé spontanément ou par le biais d’un programme. Les centres communautaires ont toujours leurs adhérents qui continuent à avancer leurs principes. Même chez les psychiatres, il existe un sentiment d’échec devant la politique de médicalisation sur le modèle individuel.  Il y a aussi des associations bénévoles qui prônent un changement de régime. Ce qui manque peut-être aux E-U est un concept comme « l’accompagnement » qui pourrait servir comme figure idéale de soins. Il se peut aussi que la biopolitique de la santé publique aux E-U ne représente que l’avatar le plus évolué de la mondialisation et un portrait de l’avenir des pays développés.
D’après nos expériences dans les deux pays,  il nous semble essentiel  que l’importance de la  solidarité humaine représentée par le terme « accompagnement », ainsi qu’une reconnaissance des besoins des malades par les instances publiques, s’ajoutent à la politique de l’individualisme néo-libéral.

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