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Interview d’Alain Létuvé

Gladys MONDIERE - Docteur en Psychologie, CH du Rouvray, 76 300 Sotteville.(Propos recueillis par Gladys Mondière)

Année de publication : 2005

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychologie, SCIENCES HUMAINES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°19 – Psychologues en tension (Juin 2005)

Interview de Alain Létuvé, Docteur en Psychologie, CH du Rouvray, 76 300 Sotteville.(Propos recueillis par Gladys Mondière)

Quel est le nombre des psychologues en France ?

Le plan d’action Psychiatrie / Santé mentale du 22 avril dernier compte « 35 000 psychologues ou psychanalystes (!) » exerçant en psychiatrie !! Cependant, c’est une estimation exubérante puisque c’est tous champs d’exercice confondus (éducation nationale, fonction publique territoriale, justice, travail, libéral…). Le nombre de nouveaux diplômés par an est estimé à environ 2.500.

Pourquoi une réorganisation des études ?

D’abord cette organisation est de fait nécessaire par l’harmonisation européenne (cursus LMD ou 3, 5, 8), ce qui rend obsolète le texte de 96 fixant les champs des DESS indiqués pour le recrutement dans la fonction publique hospitalière.

Ensuite, les organisations professionnelles (en France et à l’échelle européenne par la Fédération Européenne des Associations de Psychologues) s’accordent pour aller vers un cursus de six années dont la dernière de professionnalisation.

Enfin, il faut parler, actualité oblige, des divers rapports (impulsés directement ou non par la médecine universitaire…) réclamant une réorganisation co-tutelle santé, médecine / psychologie des études réputées « insuffisantes et trop théoriques ».

La première formulation du « projet » du plan santé mentale évoqué précédemment a mis le feu aux poudres puisqu’il avançait la « proposition de la création d’un cadre universitaire » « professions de santé » avec co-tutelle Education Nationale / Ministère de la santé au sein duquel un Master de psychologie clinique pourrait être créé ». Heureusement, cette perspective (« master de psychologie clinique et thérapeutique ») est renvoyée à une « réflexion » à mener en concertation et abandonnant ce nouveau cadre « profession de santé ».

Cette tentative de « médicalisation » de notre cursus n’est pas étrangère aux grandes manœuvres actuelles concernant l’exercice de la psychothérapie !…

Psychologie et psychothérapie, où en sommes-nous ?

L’adoption récente (loi du 9 août 2004) de l’article 52 qui vise à réglementer le titre de psychothérapeute a largement fait convulser le landerneau de la « psy ». La bataille autour des décrets d’application est aujourd’hui âpre.

Deux rapports récents sont significatifs : le rapport Pichot-Allilaire sur « la pratique de la psychothérapie » adopté par l’Académie de médecine le 1er juillet 2003 et le rapport P.Cressard adopté par le conseil National de l’ordre le 2 juillet 2004 sur « la réglementation du titre de psychologue ».

La tentative corporatiste est claire : affirmer que la psychothérapie est du côté du soin, donc de la médecine, et que si elle peut être exercée par des psychologues (progrès !), c’est à condition d’être prescrite et évaluée par le médecin (régression ramenant la psychothérapie à une technique de la psyché au même plan qu’un traitement médicamenteux !).

Quoiqu’il en soit, pour nous, la psychothérapie est une modalité particulière (cadre) du soin, de l’accompagnement, du suivi psychologique effectué par le psychologue qui, pour cela, a reçu une formation complémentaire au cursus de base1

Ces questions, au regard de la nouvelle loi, restent ouvertes notamment quant aux obligations de son dernier alinéa (niveau de formation théorique et pratique en psychopathologie clinique requis pour tous les impétrants à l’usage du titre).

Où en est cette histoire, souvent passionnelle,  entre Psychiatrie et Psychologie?

Les « Etats généraux de la Psychiatrie » de juin 2003 que nous avons organisés tous corps professionnels associés (et qui se prolongent aujourd’hui dans le  « Mouvement pour la Psychiatrie ») peuvent éclairer à plusieurs titres cette question.

Ce vaste cri d’alarme d’essence éthique manifeste la gravité de la crise qui traverse le champ, toutes sous-disciplines confondues. Au cœur du manifeste, la volonté d’aller vers une clinique du sujet et non d’accepter les dérives objectivantes de standardisation impulsées par l’union des impératifs gestionnaires et de l’attrait du « scientisme ».

Ces notions refusent d’abord les confusions mutuellement ravageantes et différencient en les articulant les couples Psychiatrie / Santé mentale (aboutissant sinon aux risques de contamination et de perte de l’objet et donc du sens de la psychiatrie), « Psychiatre » versant discipline médicale à part entière et « dispositif spécifique » pluridisciplinaire…

A partir de là, la « crise » de la Psychiatrie est analysable dans ses deux dimensions. Côté discipline, elle est traversée par la mutation actuelle de toute la médecine  qui passe, au fil des impératifs et des nouveaux paradigmes qui la déterminent, du curatif à la  priorité de la prévention, du soin de la personne à la gestion populationnelle etc. (cf. les travaux d’Anne Golse). Côté dispositif, accroissement des demandes et restriction des moyens (humains notamment) quantitativement ou qualitativement par une recherche de moindre qualification généralisée notamment).

L’ensemble de ces éléments mettent en cause les valeurs, les repères professionnels et clivent les corps (caricaturalement entre les « humanistes » anciens et les « scientifiques » progressistes…)

Tout cela aboutit donc « naturellement » au vacillement des identifiés professionnelles entraînant des durcissements et replis corporatistes de part et d’autre…et avec les enjeux de « pouvoirs » qui vont avec sur le terrain ou par les rapports…

Les psychologues sont régulièrement alertés contre des tentatives de para médicalisation de leur pratique et de leur formation, est-ce seulement lié à ce que vous avancez ?

Oui et non, mais d’abord, une remarque : ces tentatives évoquées plus haut (Piel-Roelandt, Pichot-Allilaire, Berland, Cressard, Cléry-Melin etc.) ne sont d’abord pas de nature identique et elles viennent à chaque fois de la psychiatrie et non de la MCO. En effet, avec les disciplines « somatiques », il n’y a pas de recouvrement de champs de compétences ou de références, alors il y a complémentarité. En Psychiatrie, la confusion « Psychiatrie / Santé mentale » n’a fait qu’exacerber les choses.

Non, car un élément supplémentaire est à prendre en compte : notre société, faute de repères, induit une médicalisation généralisée de tous les secteurs de l’activité  humaine. De surcroît, en France, l’institution médicale est placée en délégation de gestion des coûts de la « santé » (contrôle, régulation….). Il y a donc comme pente « naturelle » à « médicaliser » la prise en compte de la dimension psychique…bien au-delà de la « maladie mentale», le cerveau étant un organe comme un autre !…L’affaire devient alors politique (Orwell, Le meilleur des mondes).

Notes de bas de page

1 cf Code de déontologie des psychologues.

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