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Dépsychologiser la question de la souffrance au travail

Danielle LEBOUL - Psychologue, Département de Sciences Humaines et Sociales - Faculté de médecine de Brest

Année de publication : 2005

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychologie, SCIENCES HUMAINES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°19 – Psychologues en tension (Juin 2005)

Lorsque la souffrance des personnels s’exprime et que les conflits dans le travail émergent, le recours au psychologue clinicien est devenu prescription courante. Tout se passe comme si l’entreprise et l’institution, tout en lui donnant la mission de soulager, de tempérer les excès émotionnels, lui conféraient le pouvoir de desserrer les tensions au sein de l’organisation du travail et de normaliser les rapports sociaux.

S’il accepte alors de travailler dans le cadre qui lui est prescrit : celui d’une consultation de psychologie pour les salariés ou celui d’un groupe de parole, internes à l’entreprise, il risque d’être confronté aux décalages imposés par ce contexte à son activité de soutien aux processus de symbolisation. Son inscription dans la réalité du travail l’oblige à redéfinir la cible de son attention, à concevoir différemment les objectifs et les modalités de sa pratique et à préciser les conditions éthiques de son intervention.

Ainsi, il est décalé de la place d’objet tiers dans l’élaboration des conflits intra psychiques qu’il a appris à occuper selon ses références théoriques et avec ses outils méthodologiques privilégiés. Mis à disposition des personnels, il discerne alors avec difficulté dans la nébuleuse des demandes qui lui sont adressées, celles qui portent les germes d’un engagement subjectif, de celles qui, opportunistes, s’en dégagent. Il peut aliéner son souhait latent d’un effet thérapeutique en le confondant avec une obligation de résultat.

Il lui appartient d’adapter les ressources dont il dispose au cadre de son mandat. Il doit se défier de deux écueils, le premier de s’enfoncer dans l’analyse des personnes, le second d’adopter une attitude de pourfendeur de l’institution ou au contraire de vassal.

Ni thérapeute, ni conseiller, le psychologue clinicien rencontre la souffrance d’autrui en se situant à l’articulation des deux scènes où le sujet se joue. Il entend les résonances de la scène privée de son désir sur la scène publique du travail où le sujet poursuit par un mouvement sublimatoire sa quête identitaire. Par l’attention qu’il porte en ce lieu d’articulation, le psychologue devient apte à définir et à assumer sa fonction de soutien à la construction du sens de la souffrance au travail.

Il s’y exerce de façon pratique en favorisant dans la relation interindividuelle ou en groupe, la mise en visibilité et l’appropriation des liens entre la souffrance vécue et les dimensions de l’organisation du travail. Son objectif est de soutenir le processus d’objectivation du rapport subjectif au travail. Il s’emploie à atténuer l’attraction centripète qui conduit tout un chacun à faire des difficultés qu’il rencontre au travail un problème privé. Les affects d’impuissance, d’incompétence, de culpabilité, de mésestime, de rejet, acquièrent ainsi une signification rationnelle qui désenclave des seules positions de coupable et de victime.

Le psychologue valide la ré interprétation des vécus douloureux en rapport avec des situations de contraintes réelles du travail que le salarié produit. Il soutient le salarié dans sa capacité de penser les écarts entre ce qu’il cherche à faire et ce qu’il fait, de penser les échecs de ses tentatives à transformer la réalité organisationnelle, de penser les interactions qui tissent la toile sociale dans laquelle il trouve sa place.

Le psychologue clinicien poursuit donc un travail qui a pour enjeu le soulagement de la souffrance du salarié.

Dès qu’il y a action sur les personnes, la question éthique se pose. Elle est ici spécifique du fait de la prise en compte privilégiée de la réalité. Le psychologue doit se garder d’y être trop soumis. Pour s’en garantir, ils se réfèrent aux « inaliénables » qui le structurent et souscrit à un certain nombre d’exigences éthiques.

Engagement dans la recherche d’un bénéfice pour le salarié en souffrance. Exigence de rigueur qu’il s’impose dans l’approfondissement de la réflexion critique de sa pratique dans l’institution. Respect de la confidentialité des entretiens individuel ou de groupe et de l’ensemble des règles qui définissent le cadre des relations. Refus de la manipulation qui exige de lui d’assurer son indépendance d’action, en particulier vis à vis de son employeur. Avant de répondre positivement à la demande de l’entreprise ou de l’institution, il se doit de clarifier auprès de ceux qui le pressentent, son orientation de travail. C’est très certainement en levant toute ambiguïté sur les visées de son intervention : ses intentions, soit de « dépsychologiser » la question de la souffrance au travail alors qu’il est requis pour prendre soin des fragilités psychologiques individuelles ; ses conséquences, soit de faire émerger les causes communes de la souffrance au cœur de l’organisation du travail, que le psychologue clinicien pourra se tenir au chevet des personnels en souffrance d’une entreprise qui la produit et la surdétermine.

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