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Temporalité perdue et temporalité retrouvée

Philippe-Jean PARQUET - Psychiatre, Professeur émérite, Université de la Santé – Lille II Auteur du rapport « Souffrance psychique et exclusion sociale »-Juin 2003-

Année de publication : 2004

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, PUBLIC PRECAIRE, SCIENCES MEDICALES, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFRhizome n°15 – Dépasser l’urgence (Avril 2004)

L’homme et la société sont des systèmes historiques caractérisés par leur inscription dans le temps.

La méthode scientifique a, dans un premier temps et sous l’influence des théories descriptives, figé l’étude des vivants pour mieux en analyser les composants, l’instantanéité était de rigueur. La compréhension des systèmes  complexes se faisait en arrêtant le système à un instant T. Le dosage du glucose dans le sang disait si on était diabétique ou non. Il a fallu longtemps pour que l’on pratique l’hyperglycémie provoquée ce qui permettait de dire non pas comment était le système mais comment il fonctionnait. C’est la vie et le vivant dans ces variations temporelles qui pouvaient ainsi être abordés.

Autrefois, on faisait faire son portrait à une période de sa vie, maintenant on fait une photo, mais ce qui est intéressant, ce qui en dit plus long, c’est de voir les portraits d’une même personne, ou les photos aux différents âges de la vie.

Considérons maintenant l’impact de la prise en compte du temps dans deux espaces : celui des modalités de la prise en charge des personnes malades ou en situation de précarité d’une part, et d’autre part l’impact du temps dans chaque modèle de prise en charge.

L’évolution des modèles de prise en charge est à cet égard très démonstratif. Face aux difficultés des personnes, on les a d’abord considérées comme différentes, autres. Le modèle de l’aliénation conduisait à leur proposer une prise en charge « extra-ordinaire » avec ou sans l’espoir de les faire redevenir des personnes ordinaires.

Dans un second temps, on a découvert que ces personnes n’étaient pas si « extra-ordinaires », mais qu’elles n’étaient pas capables d’autonomie et de faire face aux exigences sociales. Le modèle de l’assistance était né avec pour objectif de fournir une compensation aux difficultés rencontrées.Mais ces personnes acquéraient alors un statut d’exception. Elles devaient être aidées, protégées; elles étaient devenues des personnes à part, nécessitant des actions singulières et des dispositifs spécifiques.

Dans un troisième temps, on a mis l’accent sur le fait que ces personnes avaient souffert de carences éducatives, sociales et matérielles qui ne leur avaient pas permis d’acquérir les compétences bio-psycho-sociales nécessaire à une vie autonome. On a proposé un modèle réparateur qui avait pour objectif de construire de nouvelles compétences.

Par la suite, on s’est rendu compte que cela n’était pas toujours possible. On a pensé que l’on pouvait construire par une intervention programmée de nouvelles compétences crées de toutes pièces. C’est le modèle orthopédique : la rééducation.

Chez certaines personnes, si ces compétences avaient été acquises, elles n’étaient plus utilisables pour des raisons diverses. Le modèle d’activation des compétences et des ressources a pour objectif de restaurer l’utilisation de ces compétences bio-psycho-sociales, de les rendre de nouveau actives, de les faire évoluer, de les rendre éventuellement plus performantes.

Enfin, on avait considéré autrefois qu’il fallait faire disparaître la maladie ou la situation de précarité et d’exclusion. Il fallait remettre en place des méthodes compensatoires telles que le RMI ou les allocations spécialisées. Maintenant, on se centre, de plus, sur les déterminants, les facteurs qui sont à l’origine des états pathologiques à des situations dommageables. Une action directe sur les déterminants a été proposée avec deux sous objectifs : l’un visant à diminuer les facteurs pathogènes ou de vulnérabilité, l’autre à magnifier les facteurs de protection présents chez la personne.

La variation dans le temps de ces « modalités de prise en charge » témoigne de la variation dans le temps des conceptualisations de  l’homme, de la société et de leurs rapports.

Lorsque l’on considère la maladie mentale, l’exclusion et la précarité, si on les resitue dans l’histoire d’un sujet, cela nous conduit à des prises en charge très différentes.

Une personne n’a pas toujours été dans une situation d’exclusion, si l’on prend cet exemple. Il faut tenir compte de ce que la personne a été avant son « entrée dans l’exclusion ».

Cette conception nous permet de mieux comprendre l’itinéraire de l’exclu. Cela a plusieurs  conséquences : d’abord s’intéresser à ce qu’était le sujet avant son « entrée dans l’exclusion », ceci permettant de dégager les facteurs de vulnérabilité antérieurement présents et les compétences sur lesquelles on pourra s’appuyer ultérieurement dans la prise en charge.

Il conviendra ensuite de prendre en compte la situation particulière d’exclusion, mais de garder à l’esprit que la personne pourra passer de l’exclusion à la précarité et qu’alors un autre projet d’aide et d’accompagnement devra être mis en place ; car sans cela on en reviendra à la situation d’exclusion.

Si on a pu provoquer une réinsertion par une réhabilitation  des compétences bio-psycho-sociales, l’expérience de la précarité et de l’exclusion représente un facteur de vulnérabilité, une trace qui demeure présente, et qui facilitera si on  ne continue  pas une certaine prise en charge, le retour vers l’exclusion.

On voit là que, pour une même personne au cours du temps, différents modes de prise en charge, différents dispositifs doivent être successivement mis en œuvre.

La question est maintenant de savoir pourquoi le temps et l’inscription dans le temps du sujet et des prises en charge a été négligée.

La multiplicité des dispositifs pour remédier à des situations caractérisées a contribué à considérer les personnes par fragments temporaires, à fragmenter l’assistance et l’aide, à atomiser le sujet dans ses états successifs.

Considérer la personne comme une personne historique est une condition absolue d’une approche pertinente et adéquate.

Organiser le réseau, les personnes, les dispositifs permet de conférer une histoire des modalités de prises en charge successives proposées à un même sujet.

Cette continuité dans les différentes prises en charge aide la personne à garder pour elle-même la continuité de son histoire.

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