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Vaut-il mieux être un homme ou une femme si l’on doit présenter une schizophrénie ?

Anne-Sophie GRANAT - Assistante Chef de clinique, service de psychiatrie adulte Secteur 7 Hôpital Bellevue CHU St Etienne
Jacques PELLET - Chef de service psychiatrie adulte Secteur 7 Hôpital Bellevue CHU St Etienne

Année de publication : 2003

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Psychiatrie, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°11 – La souffrance est-elle sexuée ? (Avril 2003)

Pour répondre à cette question, il vaut mieux être une femme, assurément, comme va nous le montrer le recensement d’un certain nombre de différence selon le sexe actuellement bien documentées.

Adaptation prémorbide

Les filles pendant leur enfance ont une meilleure adaptation apparente que les garçons, ceux-ci présentant une plus forte tendance aux conduites antisociales et à l’hyperréactivité, celles-là davantage de troubles pseudo-névrotiques. Plus tard, les futures schizophrènes sont plus souvent mariées (40%) que les hommes (30%) avant la première hospitalisation. Seules 16% n’ont pas eu de relations sexuelles contre 40% chez les hommes. Cette meilleure adaptation se retrouve aussi pour ce qui est des relations sociales, du travail etc.

Age de début

Si le risque de schizophrénie est classiquement le même dans les 2 sexes avec des taux d’incidence cumulée identiques, l’age de début, quelle que soit la définition adoptée du début de la maladie et quelles que soient les cultures, est retardé de 3 à 5 ans chez la femme par rapport à l’homme. La responsabilité semble en incomber au début tardif des formes paranoïdes chez les femmes, les autres formes cliniques ne faisant pas l’objet de différence sexuelle. La durée des symptômes avant la première hospitalisation étant la même dans les 2 sexes, il est probable que les facteurs socioculturels -demande d’aide plus tardive, meilleure tolérance sociale, différence des rôles sociaux – qui ont souvent été avancé comme explication  du début plus tardif chez les femmes, ne jouent pas un rôle prédominant

Sémiologie

Sur le plan sémiologique les symptômes négatifs sont probablement plus fréquents chez les hommes et les symptômes positifs1 chez les femmes. Or on sait que les premiers lorsqu’ils dominent le tableau font partie d’une constellation comprenant aussi un fonctionnement prémorbide pauvre et une évolution à moyen terme et à long terme plus péjorative.

Dans l’étude de la cohorte INSERM (Casadebaig et al.) la dépendance à l’alcool est moins importante (21%vs 7%) chez les femmes que chez les hommes

Quant aux données neuro anatomiques, métaboliques et fonctionnelles elles donnent des résultats contradictoires mais n’infirment pas les constations précédentes

Evolution au long cours

La moitié des études entreprises sur le sujet montre que l’évolution chez les femmes est moins sévère, cette moindre sévérité portant sur le taux de rechutes, le nombre et la durée des hospitalisations, l’adaptation sociale. Les autres études concluent à une absence de différence entre les 2 sexes. Ce meilleur pronostic serait lié aux caractéristiques évolutives des formes paranoïdes plus fréquentes chez la femme.

Décès

Le ratio standardisé de mortalité (RMS) est le même chez les hommes et chez les femmes et il s’établit à 4,3, l’âge moyen étant du décès étant de 39,1 ans chez les hommes et de 45,2 chez les femmes, soit respectivement 11 ans et 5 ans plus tôt que dans la population générale pour les classes d’ages observées2. Chez les hommes comme chez les femmes, le suicide est la cause principale de surmortalité surtout chez les célibataires. Les femmes schizophrènes se suicident presque autant que les hommes et par des moyens similaires, mais plutôt après 35 ans, alors que les hommes se suicident plutôt avant cet âge.

Au total La schizophrénie est plus grave chez l’homme que chez la femme avec une adaptation prémorbide inférieure, un début plus précoce, plus de symptômes négatifs, une évolution plus sévère, et peut-être des résultats thérapeutiques inférieurs.

Eléments d’interprétation

De manière spéculative on peut aussi supposer que les apprentissages précoces de rôles dits féminins importants dans la vie quotidienne, soient assez bien conservés malgré les déficits cognitifs présents dans les 2 sexes, et qu’ils constituent un facteur favorable supplémentaire.

Si l’on retient l’hypothèse de plus en plus admise d’une composante neurodéveloppementale3 dans la genèse de la maladie surtout pour les formes à symptomatologie déficitaire, « la vulnérabilité du système nerveux central à des facteurs environnementaux précoces serait lié au fait que le neurodéveloppement est plus lent dans le sexe masculin et que les fonctions cérébrales sont plus latéralisées et moins susceptibles d’être compensées par l’autre hémisphère en cas de lésion unilatérale ». Les facteurs à incidence sexuelle les plus souvent cités sont les complications obstétricales qui peuvent agir par plusieurs mécanismes chez les futurs schizophrènes hommes, et la grippe chez les femmes.

On a aussi invoqué le rôle protecteur des œstrogènes. Ils auraient un effet  « dopamine-like » responsable de formes moins graves chez la femme. Ils ont aussi un effet protecteur sur les dyskinésies tardives dont l’incidence augmente après la ménopause.

Les interactions précoces sont absentes de ce bref exposé. C’est qu’il n’existe à l’heure actuelle à notre connaissance que peu de données permettant de discuter une différence sexuelle dans ce domaine.

Notes de bas de page

1 Les symptômes « négatifs » sont déficitaires, notamment sur le plan cognitif et pragmatique ; les symptômes « positifs » sont productifs de vécus délirants, notamment paranoïdes.

2 En se basant sur le suivi à 2 ans de la cohorte INSERM de 3470 patients de Casadebaig.

3 Van Os et al, 1998.

Bibliographie

MURRAY Robin. Des facteurs environnementaux et développementaux entrent dans la genèse de la schizophrénie in Les troubles schizophréniques, Michel De Clercq, Joseph Peuskens, De Boeck et Larcier Editeur, 2000, 491-507.

VAN OS J., MURRAY R.M. (1998b). Neurodevelopmental and social risk factors across the continuum of psychosis. Submitted to Schizophrenia Bulletin.

D’AMATO T., ROCHET Th. Epidémiologie de la schizophrénie in La schizophrénie recherches actuelles et perspectives, Masson éditeur 1995, 1-34.

WAINTRAUB L., GUELFI J.D.. Outils diagnostiques et symptômes de la schizophrénie in Les schizophrénies aspects actuels, Jean-Claude Scotto, Thierry Bougerol., Médecine-Sciences Flammarion, 26-60.

CASADEBAIG F., PHILIPPE A., LECOMPTE Th., GAUSSET M.F., QUEMADA N., GUILLAUD-BATAILLE J.M., TERRA J.L. Accès aux soins somatiques et morbidité physique de patients schizophrènes, Secteurs de psychiatrie générale. Recherche G.F.E.P. – I.N.S.E.R.M. U302..Financement du Réseau National de Santé Publique.

CASADEBAIG F., PHILIPPE A., GAUSSET M.F., GUILLAUD-BATAILLE J.M., QUEMADA N., TERRA JL. Mortalité de patients schizophrènes. Secteurs de psychiatrie générale. Suivi à 2 ans. Recherche G.F.E.P. – I.N.S.E.R.M. U302.

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