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La souffrance « liée à l’X »

Muriel PETRE - médecin généraliste, intervenant dans un Centre de planification.

Année de publication : 2003

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Médecine, SCIENCES MEDICALES

Télécharger l'article en PDFRhizome n°11 – La souffrance est-elle sexuée ? (Avril 2003)

Médecin spécialisé auprès d’une population essentiellement féminine, je découvre et redécouvre en permanence les témoignages d’une souffrance sociale considérablement aggravée d’une souffrance » liée à l’X « .

Souffrance silencieuse parce que tue, silencieuse parce que les femmes qui en sont victimes sont dans l’impossibilité d’en parler, silencieuse parce que cachée, silencieuse parce que souvent sans symptômes apparents.

Je ne compte plus mes consultations auprès de ces jeunes filles et notamment celles qui sont en équilibre permanent entre deux cultures. Elles sont prisent entre le devoir de loyauté aux parents et la réalité de leur vie. Faire plaisir à la famille, c’est renoncer à leur désir, mais prendre en compte leurs désirs, c’est renier la famille.

Leurs corps et leurs psychés portent les stigmates de ce choix impossible : traces de strangulations, ecchymoses et cicatrices « coté corps », car la «  famille s’arroge régulièrement le droit de rétablir son honneur » ; syndromes dépressifs, anxiété, pathologies psychosomatiques (« j’ai toujours mal aux ovaires ») étant le pendant « coté psyché » .

Pour elles, l’accès aux droits communs, notamment à la justice, leur est impossible tant est prégnante la peur «  de se faire tuer pour de bon ».

Pour essayer malgré tout d’échapper à ce « double-bind », bien connu des victimologues, elles négocient entre leurs désirs et une virginité qu’elles portent comme un étendard afin d’assurer, selon elles, la respectabilité de « toute la famille ».

Ce fardeau, si difficile à porter quand il doit se concilier avec leurs désirs de femme ou celui de leur compagnon, génère une sexualité limitée.

Pour être en accord avec les traditions familiales, elles développent des rapports sexuelles qui, selon elles, leur permettent de rester vierges, c’est à dire des formes diverses de pratiques visant à préserver l’intégrité de l’hymen.; mais ces pratiques induisent souffrance et frustrations.

Leurs nombreux questionnements sur l’hymen provoquent surprise et doute quand je leur réponds que, médicalement, il ne sert à rien.

Cette incompréhension liée à la méconnaissance de leur corps entraîne une situation dramatique en terme de prévention. Comment peuvent-elles, dans ces conditions, imaginer pouvoir se contaminer avec le VIH ou encore être enceinte ?

Quand, lors d’une consultation, je diagnostique une grossesse, le monde s’effondre autour d’elles. Au refus de le croire, car elles sont « vierges », suit immédiatement l’angoisse d’avoir à gérer seules et dans le plus grand secret la suite des événements. Le contact avec le principe de réalité est alors violent ; certaines vont penser au suicide.

Il y a également ces femmes sans-papiers, et en situation irrégulière sur le territoire français qui, elles aussi, subissent de multiples violences : violence de « ne pas être », violence physique, violence sociale…

Autant de situations qui les incitent à développer de véritables stratégies de survie les contraignant ni à se confier, ni à se plaindre et les poussant à se nier toujours plus. A qui dire ses souffrances quand on n’existe pas officiellement ?

« Je couche pour garder un toit, pour avoir à manger, pour ne pas retourner là-bas ».

Dans de telles situations, on passe sur les coups, et on banalise en apparence le commerce de son corps.

Cette véritable prostitution de survie les fragilise davantage, tant du point de vue de la société, que du point de vue médical, car généralement aucune précaution n’est prise.

Ces situations favorisent également les mariages arrangés avec le mirage d’une situation meilleure et finalement l’inévitable cauchemar de la soumission totale au mari et à la belle-famille.

Quand ces femmes viennent en consultation, un membre de la famille est omniprésent, officiellement pour traduire, mais surtout pour contrôler ce qui sera dit.

Ainsi, à la barrière de la langue, s’ajoute l’impossibilité de parler et d’avoir une vraie relation. Il faut alors savoir dépasser le cadre des mots pour lire la véritable détresse dans les regards et les attitudes figées.

On ne saura rien ou si peu de leurs désirs à elles et bien à elles, de leurs véritables souffrances, et de leurs véritables souhaits.

Dans ces conditions dramatiques certaines expriment leur volonté de repartir car « c’était quand même moins pire la-bas… ».

Ce déni du droit d’être une femme, les poussent parfois à se refuser de donner la vie.

Certaines d’entre elles préfèrent ne pas perpétuer ou transmettre leur souffrance, lorsque enceintes, elles sont porteuses d’un bébé au chromosome XX et donc génitrice d’une future femme confrontée elle aussi à une souffrance insupportable dans une culture à domination masculine.

Récent témoin cette jeune réfugiée tenant dans ses bras une petite fille de 4 mois. Elle me dit avec des mots simples et épouvantables que «  si elle est de nouveau enceinte elle fera une échographie. Si c’est un garçon elle le garde, si c’est une fille il faut l’avorter ».

N’oublions pas cependant que, dans certaines conditions, la souffrance peut être un véritable moteur pour s’en sortir, surtout si elle est accompagnée.

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