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Modalités de médiations dans des groupes d’entraide pour personnes vivant avec le trouble bipolaire en Belgique francophone

Émilie CHARLIER - Docteure en sciences psychologiques et de l’éducation, Université de Mons, service de sciences de la famille, Mons, Belgique

Année de publication : 2020

Type de ressources : Rhizome - Thématique : Anthropologie, SCIENCES HUMAINES

Télécharger l'article en PDFCahiers de Rhizome n°75-76 – Pair-aidance, interprétariat et médiations (mars 2020)

En Belgique, de nombreuses personnes souffrent d’une vulnérabilité psychique, ce qui fragilise bien souvent leur participation sociale (Van Audenhove, 2015). Depuis quelques décennies, l’organisation des soins, en particulier des soins de santé mentale, connaît des transformations allant dans le sens d’une plus grande place accordée à la participation des malades et de leurs proches.

Le soutien par les pairs en Belgique

Le mouvement des droits des patients est apparu dans les années 1990, sous l’impulsion de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). La législation se tourne alors vers une responsabilisation des individus (Volckrick, 2008). En 2005, différentes associations d’usagers ont participé à la réflexion ayant abouti à la note politique visant à réorganiser les soins en réseau. En 2010, la réforme des soins oriente ces derniers vers le communautaire et le rétablissement (Jacob, Macquet et Natalis, 2014). Ainsi, les individus et leur entourage sont reconnus comme des partenaires de soins. Leur participation est considérée comme essentielle et se traduit de plusieurs manières : via des organes de concertations, regroupements d’usagers, expertise… De nombreuses pratiques participatives se développent depuis le début des années 2000 et, parmi elles, des initiatives renvoyant au soutien par les pairs (Dujardin, Jamoulle et Sandron, 2017).

Le soutien social correspond à l’échange de ressources – qu’elles soient d’ordre émotionnel, instrumental ou d’information – par des non-professionnels, dans le cadre de groupes sociaux ou d’interaction avec des membres d’un même réseau social (Caron et Guay, 2005). Le soutien par les pairs se caractérise par des pratiques formelles, d’une part, et informelles, d’autre part.

L’embauche de travailleurs-pairs n’en est qu’à ses balbutiements sur le territoire (Mormont, 2016). Il n’existe pas de statut légal : le métier n’est pas reconnu et, malgré le développement récent de quelques formations en la matière, elles ne donnent pas accès à un diplôme officiel. Souvent qualifiés de médiateurs de santé/pairs en France, ces travailleurs sont plus volontiers désignés comme « experts du vécu » ou « pairs-aidants » en Belgique francophone. Par exemple, le gouvernement fédéral emploie dans ses services publics une vingtaine d’experts du vécu en matière de pauvreté et d’exclusion sociale, dans le cadre d’un projet pilote soutenu par le Fonds social européen (FSE) qui a vu le jour en 2004. L’idée de « médiation » n’est pas absente du projet, ceux-ci étant envisagés en tant que « chaînon manquant » entre l’administration et ses citoyens (Casman, Diercks et Vranken, 2010).

Les pratiques informelles de soutien par les pairs sont plus anciennes et plus nombreuses. Elles correspondent à l’aide apportée de manière spontanée via des programmes mis en place par des pairs ou via des groupes d’entraide (Basset, Faulkner, Repper et Stamou, 2010). Le Meeting Point Self-Help Groups in Belgium définit ces derniers en tant que groupes de personnes qui ont un vécu similaire affectant leur qualité de vie et qui décident d’agir ensemble afin de se sentir moins impuissants quant à leur situation. Ils se fournissent mutuellement des informations et un soutien émotionnel (Damen, Mortelmans et Van Hove, 2000). Les Alcooliques anonymes (AA) en représentent sans doute la forme la plus populaire, avec plus de 200 groupes répartis sur le territoire. Cependant, les problèmes traités par ces types de dispositifs sont extrêmement diversifiés : maladie, handicap, dépendance, trouble du comportement, deuil, sexualité, événement de vie… En matière de santé mentale, il existe des groupes pour usagers et/ou des dispositifs à destination de leurs proches (AIGS, 2016).

Une recherche sur les enjeux et défis des groupes de parole

Nous nous sommes intéressés aux groupes de parole dans le cadre d’un doctorat, ceci au travers de deux recherches : la première ciblait spécifiquement les groupes non thérapeutiques destinés aux aidants proches de personnes confrontées à des événements de vie (Charlier, 2018), la seconde s’intéressait aux impacts, enjeux et défis associés à l’ensemble des groupes de parole implantés en Belgique francophone. Pour cette deuxième recherche, nous avons recueilli les avis de 67 acteurs de groupes (animateurs, participants, référents et intervenants ponctuels) de dispositifs variés par le biais d’un questionnaire en ligne, dont les données ont été complétées par des entrevues asynchrones en ligne avec 20 des répondants.

Dans ce cadre, nous avons notamment bénéficié de l’éclairage de participants et d’animateurs de groupes d’entraide destinés aux personnes vivant avec le trouble bipolaire et à leurs proches. Ce trouble de l’humeur se caractérise par des fluctuations importantes en intensité et/ou en durée, ce qui génère des altérations du fonctionnement des personnes et/ou la souffrance de celles-ci. Trois formes de trouble peuvent être distinguées : i) le trouble bipolaire I, qui se caractérise par des épisodes dépressifs ainsi qu’une phase maniaque (humeur élevée de manière sévère) ou mixte ; ii) le trouble bipolaire II, qui correspond à une alternance entre épisodes dépressifs et épisodes hypomanes (c’est-à-dire une humeur élevée de manière modérée) et iii) la cyclothymie, qui se caractérise par de nombreuses périodes dépressives modérées ou d’hypomanie sur une courte durée de temps. Le trouble bipolaire touche près de 2 % de la population belge, certaines études suggérant que cette proportion peut atteindre les 6 % si l’ensemble des formes de bipolarité sont prises en compte (Jeunieaux, 2008).

Dans cette contribution, nous nous penchons sur les formes de médiation déployées par les intervenants de groupes d’entraide pour personnes souffrant d’un trouble bipolaire, en prenant appui sur les témoignages de quatre facilitateurs et anciens participants. Afin de préserver leur anonymat, nous les désignerons par des prénoms d’emprunt. Pierre est impliqué dans plusieurs groupes de parole issus d’une même association d’usagers. Dans ce cadre, cela fait trois ans qu’il tient le rôle de facilitateur d’un dispositif. Maëlle est facilitatrice d’un groupe depuis deux ans. Avant de prendre en charge l’animation, elle en a été participante pendant une année. Gautier est quant à lui impliqué dans la création d’un groupe hybride – c’est-à-dire, dont la gestion est à la fois prise en charge par des pairs et par un ou plusieurs intervenant(s) professionnel(s) – qu’il anime depuis quelques années. Il a par ailleurs fréquenté d’autres groupes de parole. Enfin, Étienne est animateur d’un groupe dont il a d’abord été participant pendant plusieurs mois.

Les différentes facettes de la fonction de facilitateur

Les quatre répondants se définissent plus volontiers en tant que facilitateurs qu’animateurs, ceci de manière à mettre en évidence le caractère non hiérarchique des relations au sein de leurs groupes respectifs. Mais en quoi la facilitation de l’entraide entre pairs consiste-t-elle ? Différents rôles sont associés à cette fonction : il s’agit d’encourager la prise de parole et les échanges entre participants, de « réguler » ceux-ci au besoin, de présenter et de faire respecter le cadre, etc. Cela nécessite de la part du facilitateur de trouver un équilibre entre son statut de pair concerné par la thématique et la nécessité de laisser une place à chacun dans le groupe.

Plusieurs figures adoptées face aux pairs se dégagent du discours des répondants. Celles-ci ne sont pas étanches et peuvent entretenir des liens plus ou moins étroits. Il s’agit d’adopter préférentiellement l’une ou l’autre, en fonction du contexte, des demandes et de la dynamique en place. Pierre rappelle ainsi : « Chaque groupe est différent et a sa propre énergie. »

Il est important pour les participants de se sentir concernés par la thématique du groupe, de s’identifier – partiellement, du moins – aux histoires d’autrui. La diversité des situations représente en ce sens autant un atout qu’une potentielle menace pour la pérennité du groupe. La première figure qui peut être identifiée est celle de la figure identificatoire : compte tenu de son statut de pair, le facilitateur permet aux participants de s’identifier plus aisément à la thématique du groupe de parole. Il rassure également les participants sur sa capacité à comprendre leur vécu, parce qu’il est lui-même « passé par là », et encourage ainsi à raconter son histoire – ceci en opposition avec la figure de l’expert professionnel traditionnel qui cristallise les inquiétudes, la peur d’être jugé, diagnostiqué, pris de haut. Si les facilitateurs font figure d’experts profanes (Alary, 2016), c’est en raison de leurs savoirs expérientiels et/ou de leur connaissance du réseau. Ainsi, Étienne explique qu’être directement concerné par le trouble bipolaire représente un atout : « Ne pas être perçu comme un professionnel peut aider. J’ai déjà eu l’un ou l’autre retour en disant : “Moi je n’ai pas l’impression d’être analysé par toi”, qui est plutôt un peu l’expérience qu’ils peuvent avoir avec les professionnels dans leur parcours. » Néanmoins, Maëlle rapporte une expérience différente : en tant que participante, elle était craintive, au départ, à l’idée de s’engager dans un groupe animé uniquement par des personnes elles-mêmes atteintes du trouble bipolaire et la présence d’un professionnel la rassurait.

Se présenter en tant que pair tout en assumant une fonction de facilitateur – distincte pour autant de celle de participant – n’est pas chose aisée. Maëlle considère que cela implique d’être capable de « faire don de soi » ; de s’effacer au profit de « celui qui vient chercher du réconfort ou des réponses à ses questions ». Ce constat n’est pas sans faire écho aux résultats de notre précédente recherche (Charlier, 2018), portant sur les groupes de parole non thérapeutiques animés par des intervenants professionnels et destinés aux aidants proches de personnes confrontées à des événements de vie difficiles : l’animatrice-pair d’un groupe de parole destiné aux parents d’enfants avec autisme confiait qu’elle estimait devoir conserver une certaine distance avec son vécu de maman pour « ne pas s’effondrer » ; qu’elle ne pouvait se considérer comme participante malgré son expérience commune avec les membres du groupe afin de laisser la place à ces derniers et de conserver une certaine maîtrise sur le cadre.

Cela nous amène à la seconde figure, celle de la figure d’autorité. En effet, les facilitateurs sont les garants du cadre. Ci-après, Étienne explique comment il conçoit sa fonction : il s’agit « de pouvoir instituer ce cadre sécurisant, d’être attentif à la parole de chacun pour la faire circuler, de pouvoir identifier les points où l’animateur doit décider d’intervenir un petit peu pour faciliter cette parole ou vraiment avoir une attitude en retrait ». Les facilitateurs ont à cœur de proposer un cadre spatial et émotionnel rassurant et bienveillant. Ce sont eux qui offrent un espace de parole, font circuler cette dernière, encouragent les participants à se raconter s’ils le souhaitent, suscitent les échanges et les réflexions au sein du groupe en instaurant un climat propice. Pour Étienne, il est dispensable de faire preuve de souplesse ; de s’adapter aux ressources, aux besoins et aux difficultés des individus. Ce facilitateur porte également une attention à « l’ouverture aux nouveaux venus » dans le groupe, l’enjeu étant de faciliter leur intégration sans fragiliser la dynamique déjà à l’œuvre. Il s’agit aussi d’intervenir en cas de besoin et de rappeler les règles liées au respect de la parole et de chacun. Pour Gautier, faciliter le groupe consiste notamment à « poser le cadre » en début de séance : les membres sont tenus de respecter les autres et d’adopter une discussion qui soit neutre, c’est-à-dire sans recommandations à appliquer. En outre, la fonction implique de structurer la séance ; d’en être le garant du temps.

La figure désignée comme « parentale » par Étienne apparaît dans le prolongement de cette figure d’autorité. Ce facilitateur considère que la présence d’au moins deux animateurs par séance est indispensable : d’abord, pour assurer une certaine stabilité au groupe de parole, ceci même en cas de mauvaise passe pour l’un des intervenants ; ensuite, pour faciliter l’identification, évoquée ci-dessus et, de manière plus concrète, multiplier les chances que des affinités se tissent entre facilitateurs et participants ; enfin, le cas de la coanimation par un animateur masculin et une animatrice féminine permet pour Étienne d’offrir des figures parentales aux participants : « Je pense aussi que cela a la vertu que les gens peuvent peut-être plus s’identifier à l’un ou l’autre dans les discussions et ça se voit dans la manière dont ils nous interpellent l’un ou l’autre. […] On s’est rendu compte qu’il y avait peut-être une figure maternelle chez elle parfois et une figure un peu plus paternelle de mon côté. »

Pour les anciens participants, devenir facilitateur d’un groupe d’entraide permet d’endosser la figure du rétablissement. Gautier considère que « les groupes peuvent contribuer à retrouver une stabilité, voire la rémission » ; Maëlle exprime quant à elle qu’elle a retrouvé « un équilibre ». Les facilitateurs deviennent des modèles pour les membres du groupe ; ils donnent de l’espoir en témoignant qu’il est possible de s’en sortir. Comme le soulignent plusieurs écrits scientifiques à propos du principe de l’aidant (helper-therapy principle), prodiguer de l’aide à autrui s’avère thérapeutique – parfois plus qu’en recevoir. Adopter un rôle gratifiant est d’autant plus intéressant pour les personnes souffrant d’un trouble de santé mentale étant donné qu’elles ont souvent moins d’opportunités que les autres d’endosser des rôles non stigmatisants (Brown et Lucksted, 2010). Étienne confie qu’apporter son soutien à d’autres personnes au travers du groupe de parole s’inscrit de manière plus générale dans une volonté de se sentir utile : « L’idée de contribuer au mieux de la société et des personnes avec un trouble bipolaire est aussi quelque chose qui m’anime. »

Dans la continuité de la figure du rétablissement, Maëlle fait apparaître celle de « l’appui stable » : pour cette facilitatrice, la fonction renvoie à quelqu’un qui écoute les participants, capable de recevoir ce qu’ils expriment et sur lequel s’appuyer malgré la résonance d’une souffrance commune. L’idée qui se retrouve ici est celle de l’animateur capable de contenir les émotions du groupe sans s’effondrer. C’est aussi la stabilité du groupe qui entre en jeu. Étienne apporte une nuance, en rappelant qu’il n’est pas nécessaire pour les facilitateurs d’être tout le temps stables ; la coanimation permet d’avoir des moments de « bas » sans représenter une menace pour l’organisation des séances. Loin de remettre en cause la crédibilité des facilitateurs, ces périodes peuvent rassurer les participants qui constatent que les « rechutes » font partie du processus de rétablissement. Selon Maëlle, le revers de la coanimation est que celle-ci implique de prendre le temps de se coordonner et de tisser des liens solides au sein de l’équipe d’animation. Les facilitateurs doivent trouver les moyens de communiquer entre eux et de gérer les éventuels conflits, tensions et désaccords qui pourraient survenir, ceci afin d’éviter une implosion de l’équipe. La stabilité passe également par le cadre : régularité des séances, ponctualité, etc. Pierre résume ces différentes facettes en considérant que les facilitateurs doivent être stabilisés, avoir suivi une formation à l’animation de groupe, être ponctuels et proactifs.

Les différentes formes de médiation

À la lueur de ces témoignages, le facilitateur réalise ainsi une médiation entre les participants, au sens d’un tiers pouvant tantôt rester neutre, tantôt prendre un rôle plus actif. Gautier rapporte des situations où des participants maîtrisent mal le français : il s’agit alors pour ce facilitateur d’endosser un rôle d’interprète en plus de celui de médiateur ; en veillant à ce que les échanges entre les membres soient, autant que possible, accessibles à tous.

Certains dispositifs, comme celui d’Étienne, accueillent à la fois les personnes souffrant d’un trouble bipolaire et leur entourage. En effet, les répercussions ne se cantonnent pas à l’individu seul, mais concernent également la famille, les amis… Eux aussi peuvent chercher le soutien et la possibilité de s’exprimer au travers d’un groupe. Par ailleurs, ils jouent parfois un rôle important dans le processus d’engagement de la personne vivant avec un trouble bipolaire, notamment en allant « prospecter » sur le terrain et/ou en prodiguant des encouragements concernant cette démarche. Pour Étienne, les proches peuvent constituer un réel moteur de l’engagement des participants. Ils peuvent faire office d’intermédiaires entre le groupe et le futur participant. Ainsi, lorsque l’entourage et les participants bipolaires se côtoient au sein d’un même groupe, les facilitateurs peuvent être amenés à faire une médiation à deux niveaux ; entre les deux individus et entre ce duo et le reste des participants.

La médiation peut également s’exercer entre le groupe d’entraide et l’extérieur ; entre les pairs qui le composent et les intervenants professionnels issus d’institutions, d’une part, et entre le dispositif et le grand public, d’autre part.

Développer des collaborations et/ou des partenariats avec différents acteurs du secteur de la santé mentale fait partie des pistes d’action envisagées par les facilitateurs afin de renforcer la fréquentation. Groupes d’entraide et accompagnements individualisés sont envisagés comme des pratiques complémentaires par Étienne, les premières constituant « une possibilité de prolonger le travail thérapeutique ». Ce facilitateur espère que les personnes diagnostiquées avec un trouble bipolaire puissent être orientées vers son groupe de parole par les soignants. Pour Gautier, le networking est essentiel ; il favorise la visibilité des groupes d’entraide et, par-là, une meilleure reconnaissance de ces derniers. Pour cela, des relations positives doivent avoir été établies au préalable avec les professionnels. Il est attendu de leur part de jouer le rôle de médiateurs entre leurs patients et le dispositif : ils informent et rassurent les participants potentiels de la légitimité de ce genre de pratiques – qui demeurent, selon les facilitateurs, encore trop peu connues et reconnues à l’heure actuelle. Gautier a déjà initié des collaborations informelles avec des médecins travaillant au sein de structures hospitalières.

La collaboration avec des soignants peut également se traduire par des interventions au sein même des groupes. Étienne s’interroge par exemple sur l’intérêt d’inviter ponctuellement un psychologue ou un psychiatre au sein du groupe – « Est-ce que ça vaudrait la peine de faire appel à un professionnel sur le fond du problème ? » – sans y apporter toutefois de réponse définitive faute d’avoir mis en pratique ce type d’intervention.

Enfin, un dernier rôle des facilitateurs associé à l’idée de médiation est celui du relais entre le groupe et le grand public. Gautier rappelle que diffuser largement l’information et utiliser des termes adéquats – « Je trouve le mot “psychiatrie” dépassé, c’est une relique d’une autre époque et il doit être remplacé par des termes plus convenables comme “psychopathologie” ou “troubles mentaux” » – contribue à combattre la stigmatisation associée au trouble bipolaire. La participation de plusieurs facilitateurs à notre recherche s’inscrit d’ailleurs dans cette idée, comme Gautier le formule explicitement : « Vous aussi – par votre métier et votre thèse en particulier – vous pourriez contribuer à augmenter la visibilité des associations comme la nôtre. » Étienne souhaiterait garder une trace et diffuser les témoignages qui sont partagés durant les séances. Ceci pourrait aider les personnes souffrant d’un trouble bipolaire qui ne souhaiteraient, n’oseraient ou ne pourraient pas s’engager dans un groupe, d’une part, et contribuer à déstigmatiser ce trouble de l’humeur, d’autre part.

Quelques mots pour conclure

Les groupes d’autosupport ou d’entraide visent à faciliter le soutien mutuel entre pairs et sont autogérés. Pour autant, les interactions entre soignants et membres de tels groupes ne sont pas nécessairement absentes. Les différentes figures adoptées par les facilitateurs ainsi que les formes de médiation qu’ils pratiquent dans et en dehors du groupe font apparaître une certaine tension entre les expertises professionnelles et les expertises profanes. Rappelons le cas de Maëlle, qui souligne les réticences et ambivalences qui peuvent persister à l’idée d’être pris en charge par des pairs : celle-ci s’est, dans un premier temps, dirigée vers un groupe hybride, rassurée par le fait qu’il soit animé par un psychologue. Si les savoirs expérientiels sont valorisés et recherchés tant par les participants que les animateurs, le statut de professionnel est associé à une certaine capacité de recul et à des compétences qui rassurent les participants. Si être considéré comme un pair – et non comme un soignant – constitue un atout selon Étienne, celui-ci explique par ailleurs viser une « organisation professionnelle » de l’association au sein de laquelle les groupes d’entraide pour personnes bipolaires et leurs proches sont mis en place. La formation, jugée indispensable par Pierre, soulève les questionnements liés à la formalisation des pairs (Shaw, 2014), souvent relayés dans le cadre de l’embauche de pairs-aidants (Godrie, 2014) : un pair formé, voire professionnalisé est-il finalement encore pleinement un pair ?

Bibliographie

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