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Le travail de médiatrice en santé paire au sein du programme « Un chez soi d’abord »

Davia OUAKLI - Médiatrice en santé paire, Dispositif d’appartements de coordination thérapeutique, Programme « Un chez-soi d’abord », Lille

Année de publication : 2019

Type de ressources : Rhizome - Thématique : SANTE MENTALE, TRAVAIL SOCIAL

Télécharger l'article en PDFCahiers de Rhizome n°71 – Habiter, co-habiter (avril 2019)

Les appartements de coordination thérapeutique portés par le programme « Un chez-soi d’abord »

Le dispositif « Un chez-soi d’abord » accompagne des personnes ma­jeures, durablement sans-abri et atteintes d’une pathologie mentale dite sévère, vers et dans le logement. L’équipe est constituée de six éduca­teurs spécialisés, de quatre infirmiers, de deux médiateurs de santé pairs, d’un psychologue, d’un médecin psychiatre ainsi que de trois chargés de captation et de gestion locative.

Rhizome : En quoi consiste le travail de médiatrice de santé paire au sein du programme « Un chez-soi d’abord » ?
Davia Ouaklil : Dans le cadre du programme « Un chez-soi d’abord », le logement constitue le point de départ : c’est un droit fondamental. Nous partons du principe qu’il faut d’abord être logé avant de pouvoir entreprendre un accompagnement vers un mieux-être. Pour cela, nous nous appuyons sur les forces, les ressources et les rêves des locataires. Le but de l’accompagnement est que les personnes réacquièrent un logement à elles et des capacités à l’habiter. En parallèle, nous travaillons sur l’accès aux droits, aux soins, à l’emploi – pour les personnes qui le souhaitent –, ou aux loisirs.

Mon travail au sein du programme « Un chez-soi d’abord » consiste à accompagner les locataires dans leur logement et sur tous les aspects de leur vie, mais également à proposer des pistes de travail aux membres de l’équipe afin qu’ils s’en saisissent.

L’accompagnement que nous proposons au sein de ce dispositif a une philosophie différente des structures médico-sociales et des structures de soins existantes. L’ai­dant ou le soignant ne sont pas en position de supériorité, il s’agit d’une rencontre entre deux individus qui s’apportent réciproquement. La maladie passe à l’arrière-plan. La personne n’est plus un problème en soi mais une personne pleine de ressources qui a des rêves. Il s’agit d’abord de rendre à la personne sa dignité et sa citoyenneté.

Une des particularités du programme « Un chez-soi d’abord » est que tous les membres de l’équipe sont amenés à effectuer les mêmes tâches : intervenir dans le logement, accompagner les personnes à des rendez-vous médicaux ou autres, participer aux synthèses, etc. Mais ce qui est spécifique à mon travail de médiatrice paire, c’est la relation avec la personne. Les locataires ont une tendance à écouter plus facilement une personne qui a traversé les mêmes souffrances et qui serait donc plus à même de les comprendre. Ma parole a donc parfois plus de poids que celle de mes collègues, sans que cela soit systématique bien entendu. D’une part, mon rôle en tant que médiatrice est avant tout de leur apporter de l’espoir ; autre­ment dit, il est possible de bien vivre, même avec des troubles psychiques sévères. D’autre part, au niveau de l’équipe, j’apporte mon point de vue sur la situation à travers un regard d’usagère de la psychiatrie.

Rhizome : Qu’est-ce qui a motivé votre choix de devenir médiatrice de santé paire ?
Davia Ouaklil : Ce qui m’a beaucoup intéressé dans ce métier est le fait d’exploi­ter mon passé, mon présent et plus particulièrement mon parcours personnel en psychiatrie, afin de soutenir des personnes qui peuvent rencontrer les mêmes dif­ficultés et les mêmes souffrances que celles que j’ai pu connaître. Aujourd’hui, je suis rétablie : je vis avec la maladie, mais celle-ci a cessé d’être handicapante. Je suis sortie de cette spirale infernale, ponctuée d’hospitalisations, d’une multitude d’essais de traitements en tout genre et de toutes les conséquences que cela avait sur ma vie familiale, personnelle, professionnelle. Je suis là pour démontrer qu’il est possible de vivre une vie satisfaisante et de réaliser ses rêves. C’est pourquoi il me paraissait logique, voire évident, de venir en aide à des personnes qui ont connu un parcours plus ou moins similaire au mien, afin de leur permettre notam­ment d’entrer dans leur propre parcours de rétablissement. C’est un discours que je tiens non seulement auprès des locataires du dispositif, mais également à mes collègues et à toutes les personnes qui gravitent autour de mes pairs. Ma parole et mon expertise ont autant de poids que celles de mes collègues. Mes compétences, qui découlent de mon vécu et de mes ressentis, sont mises à profit de l’équipe. Le savoir expérientiel que je porte ne peut être acquis par le biais des formations professionnelles ; nos compétences sont donc complémentaires. Je me sens inté­grée et légitime au sein de mon équipe, ce qui ne va pas de soi pour un métier en émergence, qui, de plus, est exercé par des personnes atteintes de troubles.

Mon choix a également été motivé par la possibilité d’entreprendre un travail de déstigmatisation de la maladie mentale, qui reste encore très mal perçue, principa­lement en raison d’un manque de connaissances et des préjugés véhiculés par la société. Notre équipe dispense donc des formations auprès de professionnels ou de futurs professionnels, ce qui permet de faire évoluer les mentalités. Ce travail de médiatrice paire au sein du programme « Un chez-soi d’abord » me permet ainsi de côtoyer un grand nombre de professionnels par le biais de réseaux et de partena­riats, ce qui permet donc de toucher un grand nombre de personnes.

Rhizome : En tant que travailleur pair, comment mobilisez-vous votre expé­rience dans l’accompagnement des personnes accompagnées ?
Davia Ouaklil : La maladie prend toute la place dans la vie d’une personne : nous sommes définis par la maladie, nous sommes la maladie. Nous sommes donc per­çus comme un problème et non plus comme une personne. En découle une autos­tigmatisation qui nous fait perdre toute estime de soi. Pendant longtemps, j’ai été bipolaire avant d’être Davia. C’est la rencontre avec un médecin psychiatre, qui m’a considérée avant tout comme une personne avant de me considérer comme une personne malade, qui m’a permis de sortir de cette autostigmatisation. C’est à partir de ce moment-là que j’ai pu entrevoir autre chose que la maladie.

J’ai de nombreux points communs avec les locataires du programme « Un chez-soi d’abord », ce qui peut me donner plus de crédibilité que mes collègues sans que cela soit systématique. Je peux les rassurer, les encourager. Aucune personne que j’accompagne ne m’a dit : « Toi, tu ne peux pas comprendre ! » Je me charge également d’informer les personnes sur leurs droits, ce que l’on a fait pour moi à une époque afin que je puisse m’émanciper et faire mes propres choix.

Le rétablissement nécessite de l’espoir. Il est important de croire que le change­ment est possible. Mon expérience du rétablissement est un outil à disposition des locataires et des membres de l’équipe. Ainsi, je partage mon expérience avec mes pairs et ma présence les aide à reprendre le pouvoir sur leur maladie, sur leur vie, et donc à l’envisager. En pratique, je dévoile mon parcours en fonction de la situation rencontrée. Il ne s’agit pas pour moi de dérouler mon vécu, mais plutôt de saisir le moment où je peux intervenir de manière pertinente. Par exemple, si une personne me parle de son hospitalisation sans consentement, de contention ou de traitement médicamenteux trop lourd, je vais partager mon vécu et lui dire comment moi-même j’ai fait pour sortir de cette situation à l’époque où j’étais, par exemple, surmédicamentée. Nous réfléchissons alors ensemble à une stratégie qui lui sera propre.

Rhizome : Entre qui et qui s’agit-il de faire de la médiation ?
Davia Ouaklil : La médiation se fait principalement entre les locataires et les pro­fessionnels de l’équipe. Je suis une sorte de « trait d’union » qui appartient à deux entités : mon groupe de pairs et l’équipe pluridisciplinaire. Je représente symboli­quement le pont entre ces deux mondes. Je peux également être médiatrice avec toute autre personne gravitant autour des locataires : la famille, les services de soin ou sociaux, les structures associatives et toutes autres structures de droit commun. Je le fais quand je sens qu’il est nécessaire de le faire, pour une meilleure com­préhension et pour véhiculer le concept de rétablissement encore très peu connu.

Rhizome : Peut-on dire qu’il existe des capacités à habiter ?
Davia Ouaklil : Nous pouvons dire qu’il existe des capacités à habiter dans un logement, dans le sens où certaines aptitudes sont nécessaires pour effectuer des tâches relatives au logement. De plus, certains savoir-faire et savoir-être qui permettent d’habiter dans un logement – tels que l’entretien du logement, la ges­tion des factures ou le fait de s’adapter au voisinage – doivent être acquis. Habiter un lieu, c’est avoir des repères et respecter les codes en vigueur qui peuvent être différents d’une communauté à une autre. Habiter un lieu, c’est également l’investir et s’y sentir en sécurité. Je pense que chacun a ces capacités, il s’agit donc de les mettre en oeuvre et de les organiser. C’est justement à ce stade que la maladie peut venir perturber. Quelle que soit notre situation, nous avons tous besoin d’apprendre à habiter. Cela dit, habiter va au-delà du fait d’occuper un espace, puisque cela fait également référence a une dimension affective et émotionnelle dont le bien-être résulte. Notre rôle auprès des locataires est de faire en sorte qu’ils se sentent bien dans le logement qu’ils ont choisi. Nous les aidons à devenir autonomes dans leur logement, mais surtout à l’investir et à faire en sorte que cet endroit devienne le leur, notamment en les aidant à mettre en place leur propre décoration, qui peut être faite, par exemple, de couleurs ou d’objets qui leur plaisent et les représentent.

Rhizome : Si le dispositif « Un chez-soi d’abord » propose un logement pour des personnes sans abri, peut-on dire que ces personnes n’« habitaient » pas auparavant ?
Davia Ouaklil : Avant l’entrée dans le logement, les personnes logées dans le cadre du programme « Un chez-soi d’abord » habitaient une place, un parc, les escaliers d’une église. Elles y avaient leurs habitudes, leur réseau. Habiter c’est investir un lieu. Quatre murs ne sont pas forcément nécessaires pour habiter un espace. Certes, c’est une façon d’habiter qui est totalement différente de ce que nous connaissons lorsque nous vivons dans un logement. Dans ces espaces, l’inti­mité et la sécurité y sont relatives. Mais investir un endroit affectivement, y avoir ses repères, ses amis signifie réellement habiter. À titre personnel, je pense que c’est possible d’avoir un logement et de ne pas l’habiter. Vivre à la rue est une façon d’habiter un lieu avec ses codes et la rue peut être un lieu qu’on investit. Certains locataires nous disent avoir été bien à la rue, d’avoir bien gagné leur vie via la mendicité. Ils cohabitaient avec d’autres personnes sans abri, avec les habitants du quartier. La différence principale entre le fait de vivre à la rue et d’habiter dans un logement est que, contrairement au caractère privé de l’appartement ou la maison, vivre à la rue signifie de vivre dans un lieu public qui a d’autres normes que celles que l’on retrouve dans un espace privé.

Rhizome : En quoi l’accompagnement proposé dans le cadre du programme « Un chez-soi d’abord » participe-t-il à un apprentissage à cohabiter ?
Davia Ouaklil : Nous rencontrons de nombreux problèmes liés aux troubles du voisinage ; par ailleurs, ils constituent souvent une cause de perte du logement. Les locataires les plus vulnérables accueillent souvent des personnes chez elles, celles-ci finissent par investir le logement et la situation peut être à la source des conflits avec les voisins. Nous sommes également confrontés de manière régulière à des problèmes d’hygiène, de nuisibles ou de dégradation des parties communes. Une partie de notre travail consiste ainsi à apaiser les tensions avec le voisinage et les propriétaires en faisant un travail de médiation. L’apprentissage de la vie en collectivité participe à la conservation du logement, mais également au processus de rétablissement. Proposer un logement, c’est proposer un lieu stable, sécurisant, cela permet de retrouver du bien-être, de définir ses propres priorités. L’instabilité créée par la difficulté à vivre avec les autres menace la stabilité dans le logement, ce qui peut compromettre et ralentir les projets de la personne. La capacité à coha­biter est un axe primordial dans l’accompagnement dans le logement. Ainsi, cette capacité à cohabiter constitue un savoir-être nécessaire pour habiter un logement.

Rhizome : La question de l’autonomie dans le logement est-elle différente de la question de l’habiter ?
Davia Ouaklil : L’autonomie dans le logement correspond à la capacité d’une per­sonne à assurer les actes de la vie quotidienne. C’est une forme d’indépendance fonctionnelle qui peut faire référence au nettoyage, au rangement, à l’hygiène ou au paiement des loyers, par exemple. Habiter un logement, en tant qu’espace qui représente une partie de nous et nous ressemble, renvoie au fait de l’investir per­sonnellement, d’un point de vue affectif, émotionnel, intime. Il est tout à fait pos­sible d’occuper un logement sans l’investir, ou de remplir toutes les obligations inhérentes sans s’y sentir « chez soi ». Les personnes qui ont de longues années d’errance derrière elles ont des capacités à habiter des lieux publics qui sont dif­férentes de celles qui sont nécessaires pour vivre dans un logement. Dans notre société, la notion d’« habiter » est liée à différents degrés d’autonomie alors que ce sont deux concepts totalement distincts. Comment peut-on demander à une personne de gérer un logement en bousculant ses repères et en le coupant de son environnement habituel ? Il est primordial de respecter la temporalité et les choix des locataires, même si leur « fonctionnement » est perçu comme étant hors norme pour le reste de la population. La maladie tient une grande place, il est important de soutenir les nouveaux locataires dans ces changements et de les accompa­gner dans la gestion de leurs angoisses. Ainsi, au lieu de nous concentrer sur les aspects purement techniques, nous insistons plus sur le mieux-être des personnes accompagnées par le programme.

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