Le Dispositif Ambulatoire de Crise (DAC) : une alternative à l’hospitalisation dans le contexte épidémique à destination d’une population âgée vulnérable

Le contexte épidémique lié au Covid19 a mis en lumière la grande vulnérabilité des personnes âgées face à la désafférentation sociale, à la perte des repères habituels, à la fragilisation de leur étayage. Dans ce contexte exceptionnel, le service transversal de PPA du Vinatier a fait le choix de renforcer le soin à domicile pour des patients traversant une crise psychique, dans l’objectif de limiter le risque de passage aux urgences ou d’hospitalisation, potentiellement iatrogènes pour cette population vulnérable.

A partir du 13 mars 2020, les trois UF du service (hôpital de jour, centre de guidance familiale et équipe mobile) se sont engagées dans une réorganisation temporaire mais profonde de l’activité clinique. Les trois équipes se sont investies ensemble dans le dispositif à travers les outils de soin disponibles dans ce contexte particulier : téléconsultations rapprochées, visites à domicile en binôme, soutien téléphonique à destination des aidants… Dans le même temps, les équipes de l’hôpital de jour et du centre de guidance ont maintenu un lien téléphonique intensif avec les patients et leurs familles.

Sur la période du 13 mars au 19 juin, nous avons reçu 106 demandes de prise en charge, dont 75 ont bénéficié d’un suivi rapproché (VAD, téléconsultations). Les autres ont fait l’objet d’une télé-expertise ou d’une réorientation téléphonique. Parmi les patients vus en VAD, il était envisagé, pour 10 d’entre eux, un adressage à l’UPRM comme seule alternative à notre intervention.

Les principaux adresseurs étaient les médecins traitants, SOS médecin, le CMP de référence, l’UPRM. Plusieurs patients ont été adressés par une unité d’hospitalisation complète du Vinatier pour sécurisation du retour à domicile, ou à la sortie d’un service de médecine somatique (gériatrie, UHTCD, neurologie, médecine polyvalente.)

Pour quels profils de patients ?

Nous sommes intervenus majoritairement en domicile autonome, mais également en EHPAD et EHPA. Les binômes d’intervention ont été constitués au cas par cas, selon les spécificités cliniques de chaque situation (psychiatre, infirmier, psychologue, neuropsychologue, assistant sociale….) Chacun des patients pris en soin a fait l’objet d’une concertation en réunion pluridisciplinaire. Une attention particulière a été portée aux aidants en difficulté, à travers des entretiens familiaux réguliers, en coordination avec le soin individuel.

Quatre patients seulement ont été hospitalisés au cours de leur prise en charge, un en soins libres et trois en SPDT. On remarque que les patients bénéficiant d’une bonne inscription dans le soin sont très rapidement réorientés vers leur CMP, tandis que les patients non connus nécessitent un soin plus intensif et prolongé.

Parmi les principaux profils diagnostics, on recense pour l’essentiel des crises suicidaires, des situations d’exacerbation anxieuse massive sur trouble de personnalité sous-jacent, des décompensations thymiques (parfois mélancoliformes), des situations de troubles du comportement liés à un trouble neurocognitif majeur, des épisodes délirants aigus ou exacerbés dans le contexte épidémique.

Dans la plupart des situations, on relève une étroite intrication entre atteinte psychiatrique, comorbidités somatiques et neurocognitives, environnement socio-économique fragilisé. La prise en soin à domicile nous a parue d’autant plus pertinente que la situation était complexe, à risque de iatrogénie et de perte d’autonomie en cas d’hospitalisation complète.

La décision d’organiser les soins à domicile a parfois suscité perplexité ou incompréhension auprès de certains partenaires du réseau pour lesquels un soin intensif psychiatrique ne se concevait qu’en milieu hospitalier. Bien que minoritaires, ces réactions invitent à poursuivre les efforts engagés pour une déstigmatisation du soin psychiatrique et son inscription dans la cité. Elles soulignent également la nécessité de promouvoir une grande créativité dans le soin psychiatrique et dans ses articulations avec le réseau.

Nous avons cependant recueilli une grande majorité de retours positifs, aussi bien de la part des patients, de leurs proches que des professionnels de santé déjà impliqués dans la prise en soin.

Une initiative très bien reçue du côté des personnes suivies

Malgré les contraintes liées au protocole sanitaire (distanciation, blouse, masque…), nous avons obtenu une adhésion de grande qualité au soin proposé, à la faveur d’une relation de confiance tissée progressivement. Tous les patients rencontrés ont exprimé une grande satisfaction de pouvoir rester à domicile, tout en bénéficiant d’un soutien rapproché.

Chacun des usagers a activement collaboré à l’élaboration de sa propre prise en charge :

  • Rythme des visites et des entretiens téléphoniques ;
  • Élaboration de points de vigilance (par exemple installation d’une idéation suicidaire envahissante, aphagie complète…) qui doivent susciter un appel téléphonique auprès de l’équipe, ou le recours à un service d’urgence ;
  • Détermination du relais à l’issue de la pris en charge, décidé en fonction des besoins et souhaits du patient.

L’usager nous reçoit chez lui, et se trouve activement impliqué dans les décisions qui le concernent, y compris dans la détermination des critères qui feraient envisager une hospitalisation complète.

Mme B., 82 ans, nous a été adressée mi-avril par SOS Médecin pour des appels quotidiens concernant des douleurs thoraciques. Les bilans étiologiques itératifs ne retrouvaient pas de problématique organique, mais plutôt, un état anxieux avec crise de panique, imputable au Covid. Une hospitalisation au Vinatier est alors envisagée. Dans le cadre du DAC, nous proposons une alternative, en réalisant un suivi intensif à domicile. Lors de notre 1ère rencontre, nous retrouvons bien plus qu’un état anxieux. Son époux nous rapporte une anorexie, une asthénie avec vertiges, une clinophilie massive, une tristesse de l’humeur et des éléments délirants de contamination avec pour support des hallucinations visuelles. Une surconsommation de LEXOMIL est préoccupante. On propose l’introduction d’un traitement antidépresseur et anxiolytique. La prise en soin va durer un mois, à raison d’une visite par semaine, plusieurs entretiens téléphoniques et la mise en place d’un cabinet infirmier libéral, afin de surveiller son état quotidiennement. A la fin du mois, on constate une amélioration notable de l’état psychique de la patiente. Nous lui proposons une poursuite de la prise en charge au CMP, que le couple accepte, avec un relais effectif début juin.

Mme C., 85 ans nous a été signalée via la plateforme LIVE mi-mai. Sa tutrice a souhaité une évaluation psychiatrique pour un vécu persécutoire envers le voisinage, de plus en plus envahissant. Pendant l’investigation, la situation semble relever de l’urgence. La patiente aurait des hallucinations auditives toutes les nuits, entendant son voisin chanter et parler d’elle. Elle ferait quotidiennement appel au service de police, de la mairie et déposerait des plaintes toutes les semaines. Devant la multitude de plaintes du voisinage, les services sociaux de Grand Lyon Habitat seraient sur le point de procéder à une expulsion du domicile. Un SPDRE est même évoqué. A notre 1ère rencontre, nous constatons les idées délirantes de persécution de mécanisme interprétatif et hallucinatoire intense. Mme C s’en défend à travers une surconsommation de LEXOMIL. Une prise en soin DAC lui est proposée, à laquelle elle adhère sans réticence. Le premier mois, le suivi est quotidien, entre entretiens téléphoniques, visites à domicile et entretiens à l’hôpital de jour. La mise en place d’un traitement est réalisée sous contrôle de bilan biologique et réalisation d’un ECG. A la fin du 1er mois de prise en charge, nous constatons un apaisement psychique partiel. L’expulsion et l’hospitalisation sous contrainte au Vinatier sont suspendus par la Mairie, du fait de son adhésion au suivi à domicile. Une poursuite des soins lui est proposée pour le mois de juillet.

Article rédigé par les équipes de Psychiatrie de la Personne Agée

Cette expérience a renforcé le souhait, antérieur à l’urgence sanitaire, d’inventer un soin intensif de crise sur mesure, au plus proche des besoins de l’usager âgé, dans son environnement, respectueux de ses repères et habitudes, soucieux de son entourage qu’il soit familial ou professionnel.

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