Peuples autochtones des Amériques : Regards croisés sur la "folie"

Du Nunavik à l'Amazonie, le pouvoir de l'invisible

Affiche de l'exposition Copyright : Conception ij design

Dans le cadre d’une saison dédiée aux cultures autochtones des Amériques, la Ferme du Vinatier a proposé une exposition du 18 janvier au 6 juillet 2012, de Laure Gruel, psychomotricienne en psychiatrie, et Stéphane Moiroux, infirmier et photographe, qui ont parcouru le continent américain et vécu quelques mois au sein de quatre peuples (Inuit, Sioux-Lakota, Maya, Shipibo) afin d'interroger leur approche, leur vision et de recueillir leurs questionnements sur ce que nous qualifions en Occident de folie.

Photographie de la scénographieCopyright : Celsor Herrera Nunez

Autour de cette exposition d’autres manifestations ont également été proposées au public, comme le colloque Peuples atlantiques, sociétés occidentales et mondes invisibles : Regards, représentations et médiations, organisé à la Ferme du Vinatier le jeudi 22 avril 2012. Deux soirées projection-débat afin d’échanger sur le film et de mettre en perspective les thématiques abordées dans l’exposition : Le voyage de Charlie, le 5 avril 2012 au Cinéma les Alizées à Bron et Other Worlds, le 3 mai 2012 au Toboggan à Décines.

En partenariat avec le Musée des Confluences, la Ferme du Vinatier a également proposé un cycle de contes du 22 au 25 février 2012 avec "Histoires d'ours, contes traditionnels inuits  par la Cie Par-dessus les toits, "Sur les plumes de l'aigle" & "Le peuple des bisons", contes traditionnels sioux-lakotas par le Cie Tout conte fait, "Inuk", contes arctiques par Dominique Rousseau et des contes traditionnels maya par Sandra Ricardez.

REGARDS SUR LA FOLIE

Quelle place à l'invisible ?

Carte des Ameriques

Quelles sont les différentes perceptions de ce que l'on appelait avant la « folie »? Quelles sont les matrices d'interprétation des désordres mentaux élaborées par des cultures ayant d’autres grilles de lecture du monde ? Quels sont les moyens thérapeutiques qu'elles se donnent ? Ces questions ont animé Laure Gruel, psychomotricienne en psychiatrie et Stéphane Moiroux, infirmier et photographe, pendant plus d'un an. Ils ont vécu entre deux et trois mois au sein de quatre peuples (Inuit, Sioux, Maya, Shipibo) afin d'interroger leur approche, leur vision mais aussi leurs questionnements autour de la folie.

Ce détour vers des cultures de l'ailleurs, même s'il apporte plus d'interrogations que de réponses -tant la définition de la folie est complexe- peut permettre d'étayer une réflexion, ouvrir un débat autour de cette question délicate de la prise en charge et de la place accordée dans la cité à ceux qui sont en souffrance psychique.

Les Inuits

Figure d’un chaman se transformant en espèce aquatique, XXIe siècle, Billy Merkosak, Collection : Musée des ConfluencesCopyright : Benoit Lapray

« Autrefois, selon leurs traditions, les Inuits croyaient en la transformation corporelle impliquant un humain et un animal. Grâce aux interventions du chamane ou des esprits, un humain pouvait prendre l’apparence entière ou partielle d’un animal, et inversement un animal pouvait parfois tromper les humains en se métamorphosant. »

Louis Gagnon « la collection de sculptures Inuits du muséum d’histoire naturelle de Lyon » in Cahiers scientifiques, hors série n°1, 2003, page 80

La présence d’une frange pourrait correspondre à la coiffure de l’homme et indique ainsi probablement que la figure humaine composant cette pièce fait référence à un homme en transformation. Peut- être un chaman en transformation évoluant dans le monde maritime à la rencontre de la déesse Sedna? La finesse du visage traduit l’évolution du travail de Billy Merkosak, et son intérêt depuis quelques années pour la sculpture de masques.

Copyright : Stéphane Moiroux

Aout 2009

C'est ici que commence notre travail. Le bras de mer a dégelé en juillet dernier et restera libre de glace les deux prochains mois. Nous repartirons avec la venue des premières neiges, en octobre. Pas de banquise donc, ni d'igloo, on est loin des clichés.

Nous passons beaucoup de temps aux appartements thérapeutiques pour personnes psychotiques. Nous y animons un atelier photo.

Copyright : Stéphane Moiroux

Les gens du village apprécient que nous ayons un rôle concret et que nous ne soyons pas venus pour les observer. Le peuple inuit a été l'ethnie la plus étudiée par les anthropologues.

Freud expose dans Totem et Tabou, « l'humanité aurait, dans le cours du temps, connu successivement [...] trois grandes conceptions du monde : conception animiste (mythologique), conception religieuse et conception scientifique ».
A Kuujjuaq, ces trois conceptions partagent la même temporalité. La perception de la psychose, polymorphe, diffère selon chacun de ces cadres de pensée. Elle est étroitement liée à la compréhension du monde, à ce qui y fait sens, et aux interprétations que la culture lui donne.

Copyright : Stéphane Moiroux

Copyright : Stéphane Moiroux

Scénographie de l’expositionCopyright : Celsor Herrera Nunez

May, femme très appréciée et reconnue dans le village, raconte sa façon de soigner, apprise de sa tante, guérisseuse :

 « Il y avait une jeune femme qui était possédée. Dans ma culture, l'esprit voyage d'une personne fragile vers une autre. Je lui ai demandé de me décrire ce qu'elle voyait - un homme appuyé contre la fenêtre. Il essayait de la posséder.

J'ai conseillé à cette jeune femme d'ordonner à l'esprit de rester loin d'elle. Elle l'a alors vu partir par la fenêtre. Il peut y avoir deux sortes d'esprits, des bons et des mauvais. Ils manipulent les gens. »

Même si May perpétue ce type de soins avec des personnes diagnostiquées psychotiques, cette ancienne pratique reste marginale et il est difficile d'évaluer le nombre de personnes y ayant recours. Cette technique n'est pas toujours bien vue :

« Aujourd'hui c'est compliqué, le système des Blancs est très lourd. Je leur explique, mais personne n'écoute. »

Copyright : Stéphane Moiroux

Les parents de Lizzie l'ont élevée selon une conception animiste du monde. Pour la plupart des personnes de sa génération, les hallucinations se comprennent comme des communications avec les esprits. Le monde est peuplé d'êtres invisibles, et interagir avec eux n'est pas signe de déviance ou d'anormalité, tant que la fonction sociale n'est pas trop perturbée.

Auparavant, le chaman pouvait être appelé. Il avait le pouvoir de manipuler les âmes, voyager dans le monde invisible et affronter les esprits. En soignant le possédé, il cherchait à chasser l'esprit malin mais également à restaurer l’harmonie sociale. Mais si les techniques de soins et de régulation sociale avaient été épuisées, sans succès et que l'individu était estimé dangereux, l'exclusion s'imposait. Cet ostracisme pouvait être temporaire comme définitif ce qui signifiait, à cette latitude, une mort certaine. « La communauté prévalait sur l'individu. »

Les Sioux-Lakotas

Copyright : Stéphane Moiroux

Copyright : Stéphane Moiroux

Novembre 2009

L'hiver a commencé très tôt dans le Dakota du sud (nord des Etats-Unis). Il ajoute une dimension étrange, intimiste et confinée à cette réserve déjà hors du temps. Les températures extrêmement basses et le coucher prématuré du soleil nous permettent de veiller longuement avec ces Sioux-Lakota qui partagent leurs cérémonies, leurs croyances, leurs mythes et leurs récits du temps où la réserve n'existait pas. Les clans, les thiyóšpaye, étaient alors centrés autour du medicine man.

Ces guérisseurs communiquaient avec les puissances spirituelles. Celles-ci leurs enseignaient les cérémonies à mener, les plantes et chants à utiliser et les guidaient vers leurs alliés surnaturels (esprits, animaux-totem).

Scénographie de l’expositionCopyright : Coline Rogé

S'ils étaient des êtres très puissants, capables de soigner, de faire tomber la pluie et d'attirer les troupeaux de bisons, les medicine men n'en tiraient aucun narcissisme. Ils n'étaient que des intermédiaires entre le monde invisible et les hommes. Aujourd'hui, il subsiste encore des thiyóšpaye, des medicine men et des pratiques traditionnelles.

Copyright : Stéphane Moiroux

Mais au sortir des pow wow, les plumes sont vite remplacées par des baggys et des sweat-shirts à l'effigie des derniers groupes de rap. Peu de Sioux partagent encore la red road, la voie des valeurs lakotas. La génération des hommes de soixante ans a longtemps eu honte de cette identité d'Indien, mais ils affirment que les Lakotas sont des guerriers. Ils ont gardé ça. « Au moins », rajoutent quelques-uns.

Copyright : Stéphane Moiroux

Copyright : Stéphane Moiroux

Copyright : Stéphane Moiroux

« Mon fils était à l'hôpital psychiatrique depuis cinq ans, il prenait dix-sept médicaments par jour. Les médecins m'ont dit que c'était incurable. Je ne pouvais pas, en tant que mère, accepter que mon fils soit en institution à vie. J'ai su qu'il devait revenir à la Terre Mère, dans la réserve. Il y a parfois des moments durs. Je sais qu'il aura toujours sa psychose maniaco-dépressive, mais ici il va mieux, sans médicament. J'espère que lui aussi, comme moi, suivra la spiritualité lakota. »

Candace Lebeau (Cheyenne River Sioux indian Reservation).

Copyright : Stéphane Moiroux

« Ceux que les médecins blancs appellent psychotiques sont wakan. Ils sont dans deux mondes. Ils ont des choses à nous apprendre car ils communiquent avec les esprits. Ils n'ont pas besoin de soin car ils sont directement en lien avec Wakan Tanka. »

David Swallow, Medecine man.

Wakan: sacré, mystérieux. Wakan Tanka, Dieu, ou plutôt le Grand Mystère, est décrit comme une énergie, un souffle. Dans la tradition lakota, ceux qui sont différents sont mystérieux, sous-entendu en possible lien avec les puissances invisibles. Les traducteurs utilisent ce terme, wakan, pour évoquer la schizophrénie. Il n'existe pas de mot pour nommer l'anormal en langue lakota. Pas d'idée de norme, donc pas de classification. La schizophrénie sort ainsi du champ des pathologies.

Copyright : Stéphane Moiroux

« Il n'y a pas spécialement de médecine lakota pour guérir les personnes psychotiques. Celles-ci sont en relation avec les esprits, c'est mystérieux. Il est possible de faire des cérémonies, des inipis par exemple, pour couper le lien avec les esprits »

Denis Yellow Thunder, Medicine man.

Inipi : cérémonie de purification physique, émotionnelle, spirituelle et mentale. Dans l'intimité et la chaleur d'une hutte de sudation, les participants confient leurs difficultés du moment au reste du groupe. Le medicine man, en contact avec les esprits, guide les prières, les chants et la réflexion. Les personnes souffrant de psychose peuvent y participer comme tout un chacun.

Cette cérémonie permet également de soutenir l'entourage et de créer du lien autour de celui qui souffre. Lorsqu'une famille ne voit pas d'amélioration après un inipi, elle vient souvent consulter le psychologue, désemparée.

Les mayas

Déesse de la pluie Civilisation maya ancienne, 600-950 ap. J.C. Cimetière Isla de Jaina, Mexique Sculpture en pierre cuite ocreCopyright : Collection : Couvent - Cabinet de Curiosités

 « L’art maya est vivant et réaliste dans sa production de statuettes en terre cuite.

L’abondance et la variété des pièces exhumées à ce jour offrent une parfaite idée du quotidien des Mayas. Ces statuettes représentent des nobles, des guerriers, des prêtres, des danseurs, des créatures mythiques ou surnaturelles (comme ici la déesse de la pluie), des personnages souffrants et difformes proposant ainsi une représentation détaillée et expressive de l’époque maya.

Un grand nombre de figurines semblables à celle que nous présentons proviennent de l’île de Jaina, située au large de la côte ouest de la péninsule du Yucatan, à une quarantaine de kilomètres au nord de la ville de Campeche.

Copyright : Stéphane Moiroux

Février 2010

Nous rejoignons les montagnes guatémaltèques. C'est la saison sèche. Les tremblements de terre sont nombreux. Les habitants portent les vêtements traditionnels et l'espagnol ne suffit pas pour les comprendre tous.

Nous logeons au centre medicos descalzos une petite institution non gouvernementale qui cherche à systématiser et promouvoir les soins traditionnels. Nous sommes à chaque fois les bienvenus pour assister aux cérémonies et aux entretiens avec les patients.

Les différents guérisseurs nous expliquent la cosmovision maya alors que les villageois, ayant appris que nous sommes soignants, viennent régulièrement nous demander des consultations.

Copyright : Stéphane Moiroux

Cette région rurale du Guatemala - le Quiché - est peuplée à 89% par les Mayas. Cette identité culturelle révèle l'appartenance à une ethnie socialement discriminée, tant dans l'accès à l'éducation scolaire, à la réussite sociale qu'aux soins.

84% des Mayas sont considérés pauvres, alors que « seulement » 51% des latinos – les descendants des espagnols - souffrent d'impécuniosité. L'absence d'offre de soins est criante: dans cette région, on recense un médecin pour 11 500 habitants (alors que la moyenne nationale est de 1 pour 348), trois psychologues pour les 800 000 habitants et aucun psychiatre.

Copyright : Stéphane Moiroux

Les services de médecine officielle, appelée urbano-européenne, sont insuffisants non seulement par manque de ressources humaines et financières mais également par l'absence de stratégies d'actions culturellement définies (méconnaissance de la langue k'iché, différences d'interprétation des symptômes, absence de recours aux guérisseurs traditionnels). Il n'y a pas de place pour les conceptions traditionnelles au centre de santé publique.

Mais la médecine maya, malmenée par les conquêtes espagnoles, le récent conflit armé et les religions catholique et évangéliste, résiste.

Copyright : Stéphane Moiroux

« De manière symbolique, la conception de la santé inclut la terre qui fournit les aliments et la mère qui transmet la vie par le lait maternel. »

« Pour la science occidentale l'humain est composé de milliards de cellules, pour nous il est formé de milliards de chiffres. »

« C'est parfois difficile de trouver les racines d'un problème, surtout lorsqu'il remonte aux ancêtres. Il faut alors plusieurs consultations pour le trouver. Parfois on ne sait pas par ou commencer, il y a une montagne de problèmes, cela donne mal à la tête. Je conseille à mes patients de revenir dans quatre ou cinq jours et d'être attentif à leurs rêves. Les interpréter m'aidera beaucoup. »

Copyright : Stéphane Moiroux

« J'ai souffert d'un q’ijalxik  grave. J'étais très malade. J'ai fait des cérémonies pour découvrir qui j'étais vraiment. Depuis, je respecte mon nawal  et ma vocation d'  ajq'ij.

« Oui j'en ai déjà vu des gens fous. Mais pas souvent. Une fois, il y avait une jeune femme qui se griffait le visage. La pauvre, c'était terrible, elle se faisait du mal. Je lui ai donné du cœur de vautour à manger. Un bout tous les jours pendant neuf jours. C'est cela qu'il faut faire. »

Scénographie de l’expositionCopyright : Coline Rogé

« Lorsqu'une personne souffre d'un moxrik , on cueille cinq feuilles d'oranger, cinq de citronnier et une petite branche de basilic. Après, on part avec le patient, seul, dans un endroit où quatre chemins se croisent. En premier, on regarde l'orient et on lui demande la vie. Puis on regarde vers l'occident. On lui demande que meure la maladie. Puis on demande au nord de nettoyer le mental du malade. Ensuite on implore le sud que le malade se sente mieux. A chaque fois on passe les feuillages sur le patient agenouillé puis on prend un peu de terre que l'on donnera au patient après, avec les plantes. Il les infusera dans un litre d'eau qu'il boira pour nettoyer son mental. »

Copyright : Stéphane Moiroux

Les Shipibos

« La créacion », Don Francisco Montes Shuña

Cette œuvre fait partie d’un lot de dix peintures contemporaines du chamane Don Francisco Montes Shuña. Ces peintures s’inspirent des transes produites par le pouvoir hallucinogène de certaines plantes. Pour le chamane, elles sont le témoignage des voyages effectués dans le monde invisible des esprits. De ces immersions, il ramène des savoirs permettant de protéger la communauté et une connaissance profonde des plantes, des arbres sacrés et médicinaux.

« La créacion » Peinture sur écorce Don Francisco Montes Shuña, Pérou Amérique du sud, entre 1999 et 2003 - Collection : Musée des ConfluencesCopyright : Patrick Ageneau

Selon Alexandre Surallés, chargé de recherche au CNRS, ces peintures représentent une activité très vivace de l’Amazonie contemporaine et se révèlent être de très bonnes illustrations des personnages des cosmologies amérindiennes.

Auteur : Stéphane Moiroux
Copyright : Photo : S.Moiroux / Peinture : P. del Aguila

Juin 2010

Dernière partie du voyage. Nous atteignons Pucallpa, en forêt amazonienne. Nous imaginions un village indien, au bord d'un fleuve tranquille. Pucallpa compte 350 000 habitants et le commerce du bois rend le fleuve surchargé.

Ici, La médecine traditionnelle est omniprésente. Issue du chamanisme du peuple shipibo voisin, elle a été agrémentée au cours du temps de connaissances médico-magiques andines puis des idéologies religieuses occidentales créant ainsi un métissage de croyances et de pratiques. En voyageant dans un monde parallèle peuplé d'esprits le curandero -guérisseur- accède à la réalité invisible de son patient. Il y repérera l'origine de ses troubles et y découvrira les remèdes nécessaires à sa guérison. Les plantes sylvestres sont tour à tour la clef d'entrée de cet univers spirituel, des guides et des traitements.

Copyright : Photo : S.Moiroux / Peinture : P. del Aguila

Nous avons eu la chance de rencontrer Paolo. Se présentant comme un peintre surréaliste, il puise son inspiration en explorant lui-même ce monde mystérieux. Notre sujet l'intéresse.

Commence alors une enquête à travers la ville poussiéreuse de Pucallpa à la recherche de la folie et de ces soignants du monde invisible.

Copyright : Photo : S.Moiroux / Peinture : P. del Aguila

« Le lupuna est le maître des arbres de la forêt. C'est le plus grand et le plus puissant. Son esprit est dépeint comme une femme, très belle, très grande. Pour apprendre à soigner, tu dois diéter les plantes de la forêt. Tu t'isoles, tu ne manges pas de sel, pas de sucre, juste du riz et des bananes plantain. Tu te connectes avec la plante, par des tisanes ou des bains. Ça dépend des plantes. Son esprit vient te parler, en rêve ou en vision. Plus tu fais de diètes plus tu apprends. Il faut comprendre que ce n'est pas le chaman qui te donne un enseignement, ce sont les plantes. Elles savent. »

Don Marcello, curandero.

Copyright : Photo : S.Moiroux / Peinture : P. del Aguila

Les chamans vont régulièrement « dièter » certaines plantes. Pendant six mois, ils se plient à un régime très strict et respectent certaines interdictions : diète, abstinence sexuelle, sobriété, solitude...

Cette diète les aide à ouvrir leur champ perceptif. Ils deviennent alors plus sensibles aux énergies des différents végétaux. Par la suite, la plante « diétée » apparaîtra fréquemment au chaman pour l'aider, le guider, un peu comme une alliée.

Copyright : Photo : S.Moiroux / Peinture : P. del Aguila

En soufflant la fumée d'un mapacho (cigarette de tabac pur) sur le crâne, les mains et les pieds de son patient, Don Marcello le nettoie et lui appose une protection. On nomme ce soin sopladura. Le tabac, en pénétrant le corps du patient, rééquilibre les énergies et procure l'apaisement. Dans la pharmacopée traditionnelle shipibo, les plantes sont des médicaments vivants et intelligents.

Copyright : Photo : S.Moiroux / Peinture : P. del Aguila

Le tabac est considéré comme la plus puissante. Il possède un esprit chargé d'énergie. On le portraiture tel un homme de couleur noire, vigoureux et reconnu pour ses talents médicaux.

L'ayahuasca est utilisée par les peuples amazoniens depuis plus de 3000 ans. Par son effet psycho-actif, elle modifie l'état de conscience et permet l'apparition de visions. Pour les curanderos et les chamans du bassin amazonien, elle ouvre une porte sur le monde invisible où les énergies de chacun se révèlent et où la conscience végétale devient également accessible.

Traditionnellement, c'est le chaman et non le patient qui ingère l'ayahuasca. Seul le guérisseur peut naviguer aisément dans le monde invisible et y détecter ce qui fait souffrir le patient. Aujourd'hui, beaucoup d'occidentaux en quête d'un mieux-être participent à des cérémonies auprès de chamans plus ou moins célèbres et plus ou moins fiables.

Copyright : Photo : S.Moiroux / Peinture : P. del Aguila

« Dans le cas d'une personne schizophrène  on observe une charge négative importante qui pèse sur ses épaules. Tu sens qu'il a un karma mais c'est comme s'il portait tout les malheurs du monde. Si la personne boit de l'ayahuasca dans ces conditions cela peut mal se passer. Moi je préfère les aider en pratiquant des purifications par les plantes et par les chants. »

  • Medi medi medicina
  • Cura cura cuerpocito
  • Cura cura espiritito
  • Cura cura espiritito
  • Medicina medi cura
  • Medicina medi cura
  • Curademos curademos
  • Cura cura plantitai
  • Don Jeffherson, curandero.  

Copyright : Photo : S. Moiroux / Peinture : P. del Aguila

Les rivières sont le lieu de résidence de nombreux esprits et personnages maléfiques. Les sirènes et les dauphins roses qui peuplent les fleuves tourmentent les hommes et les pêcheurs. La graisse du dauphin rose, par exemple, est utilisée par les sorciers. Appliquée sous forme de pommade, elle possède le pouvoir de rendre fou amoureux, au sens littéral.  La victime, totalement désemparée, va errer pendant plusieurs jours. Si elle n'est pas soignée dans les deux semaines, elle finira par se jeter à la rivière.

La rencontre avec un esprit de la nature peut être dommageable, surtout si l'on est psychiquement affaibli. La puissance énergétique du végétal peut venir irradier chaque personne, qui se retrouve alors, au sens premier du terme, « déboussolée ».

« Dans les rivières, il y a des formes un peu sataniques. Elles peuvent émerger et te faire devenir fou. Généralement la nuit. Leurs énergies peuvent te créer un choc si puissant que tu deviens fou. »

Don Marcello, curandero.

Copyright : Photo : S.Moiroux / Peinture : P. del Aguila

Jerenia a décompensé une schizophrénie à l’âge de 14 ans. Son père livreur de journaux ne peut pas payer les traitements prescrits par le psychiatre.

Aujourd’hui âgée de 23 ans, elle est enchaînée au mur en permanence. « Je ne peux pas la laisser sortir, elle se dénude dans la rue et court vers les voitures. »

Il y a un an environ, Martin Vela, président de l’association  mirando el mañana, et créateur d’un futur centre d’hébergement pour personnes présentant des troubles psychique, a aménagé une pièce verrouillable afin que cette jeune femme puisse vivre sans être attachée. La chambre est restée vide, le père de Jerenia ne lui a jamais proposé de s’y installer.

Conclusion

Copyright : Stépghane Moiroux

 

On a souvent défini la folie, dans notre culture, comme l'envers de la raison. Le fou est celui qui ne contrôle pas, rationnellement, son mental. Ses pensées sont chaotiques. Il s'y égare, s'y perd, s'éloigne de nous. Voltaire disait : « Qu'est-ce que la folie ? C'est d'avoir des pensées incohérentes et la conduite de même. » Et c’est à l'époque où la raison fût célébrée, au siècle des lumières, que l'on a commencé à enfermer les « insensés ».

Selon Serge Carfantan : « Dans la vision de Foucault, la raison apparaît en réalité comme une norme sociale tyrannique dont l’application nécessaire en tant que système est policière. La raison est au principe même de l’arraisonnement du déviant. Il faudra donc parquer derrière des grilles ces fous que l’on ne comprend pas. La folie est un scandale qui sert à l’édification des gens sains. L’homme raisonnable seul est humain. »

Scénographie de l’expositionCopyright : Stéphane Moiroux

Pour d'autres cultures, tels les Lakotas, la raison n'est pas le seul moyen de percevoir et de comprendre l'univers ; être hors de la raison ne signifie pas être fou. Au contraire, il s'agit d'un exercice spirituel, d'une faculté à sortir du cadre restreint de nos perceptions, une propension à atteindre un au-delà de la pensée. A la logique binaire des catégories du normal et de l'anormal, les Lakotas ajoutent celle du paranormal.

La définition de la folie ne varierait-elle pas selon la société qui la dicte ? Le fou serait-il celui qui dévie des normes fixées par chaque société? Si en Occident la culture fixe les limites de la folie aux barrières de la raison, pour la culture maya ce n'est pas la déraison qui est un critère d'anormalité, mais l'individualisme. Une personne s'éloignant des valeurs traditionnelles communautaires pour se rapprocher de celles des U.S.A. – matérialisme, libéralisme…– sera identifiée comme souffrant d'un, pathologie grave traduite par « folie ».

Scénographie de l’exposition Copyright : Celsor Herrera Nunez

Une troisième conception est esquissée : la folie comme maladie mentale. Elle gagne dès lors le champ du pathologique. Dans le langage médical, la folie est définie comme une « lésion plus ou moins complète et ordinairement de longue durée des facultés intellectuelles et affectives » (dictionnaire Littré). Le singulier de folie devient le pluriel de maladies mentales. La psychiatrie a identifié plusieurs troubles spécifiques, tels la psychose, la paranoïa, la schizophrénie.

Il est certes complexe de définir la folie, cependant à l'heure des réformes concernant les soins et la liberté des personnes présentant des troubles psychiques graves, il semble primordial de se positionner sur cette définition ; en effet comme l’énonçait Lucien Bonnafé au siècle dernier : ne « juge-t-on pas  une société à la manière dont elle traite ses fous » ?

Scénographie de l’expositionCopyright : Celsor Herrera Nunez

 Générique

Une exposition conçue par la Ferme du Vinatier – CH Le Vinatier

  • Hubert Meunier: Directeur du CH Le Vinatier
  • Isabelle Bégou: Direction projet
  • Coline Rogé: Communication - Presse
  • Marie-Jo Barny de Romanet: Administration
  • Isabelle Buendia: Accueil
  • Stéphane Moiroux: Photographie
  • Laure Gruel: Enquête et textes
  • Paolo del Aguila: Peinture
  • Scénographie :
    Jean-Pierre Zaugg - Atelier Decobox
  • Avec la collaboration de :
    Musée des Confluences, Couvent - Cabinet de Curiosités, Musée d’ethnographie de Neuchâtel, Association Luzin’art, Association Onanyati, A12 Photo et Image Numérique
  • Partenariat média :
    Revue « Santé mentale », « …491 »
  • Avec le soutien : 
    du ministère de la Culture - Drac Rhône-Alpes, du ministère de la Santé,
    Agence Régionale de Santé Rhône-Alpes,
    de la Région Rhône-Alpes,
    du Département du Rhône,
    de la Ville de Bron.

Scénographie de l’expositionCopyright : Stéphane Moiroux

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